dimanche 25 septembre 2011

Cours classique: Versification

L’année suivante, après méthode, c’était quoi?

Versification. En versification, tu passes dans la grande salle. À cette époque-là, ceux qui allaient au Grand Séminaire, ceux qui étudiaient pour être prêtre, qui faisaient la théologie, de niveau universitaire, ils étudiaient aussi au séminaire. [Il y avait donc trois grands groupes: Petite salle (3 premières années), grande salle (5 années suivantes) et grand séminaire (théologie)]. En versification, dans la grande salle, tu tombes avec les plus vieux, tu es donc dans les plus jeunes de la salle. Pour le dortoir, tu changes aussi. Tu as un dortoir pour versification et les deux années suivantes. Les deux dernières années, de philosophie, ils ont leur dortoir. Et dans notre dortoir, il y avait des souris. Comme on était toujours des petits débrouillards, on s’est organisé avec les externes pour s’acheter une série de trappes à souris, une bonne trentaine, certain. Les souris venaient dans le dortoir par les trous dans le plancher le long des calorifères. On s’est mis à mettre des trappes à souris. Parce que les souris allaient aussi à l’étude. Si tu t’étais fait acheter des choses par le coiffeur – comme tu pouvais pas aller en ville, tu te faisais acheter des choses par le coiffeur -, des peanuts par exemple [tu les laissais à l’étude et les souris les mangeaient]. Ce que je me souviens du dortoir de versification, c’est d’être couché et à un moment donné, tu entendais clac, clac, clac. Après un bout de temps, ça claquait plus gros. On en a pogné, on a pratiquement purifié le séminaire. On a fait ça pendant quasiment deux ans.

C’était quoi la grande différence au niveau programme, en versification.

Les examens qui venaient de l’université. À ce niveau-là, on avait une version grecque (prendre un texte grec et le traduire en français), une version latine (prendre un texte latin et le traduire en français), un thème latin (du français que tu traduisais en latin), un examen de mathématiques, une composition française et une composition anglaise. A la fin de l’année, tu entrais à la salle d’étude et ils te donnaient le texte et trois heures pour le faire. Chaque épreuve. Un l’avant-midi, un après-midi. Toute la littérature et l’histoire que tu avais apprise n’avaient pas rapport là-dedans, à part les connaissances générales que tu avaient vues. L’histoire que tu avais apprise et un texte grec à traduire, ça se rejoignait quand même un peu. La même chose si tu traduisais un texte de César, tu savais qui était César, qui l’avait écrit. Et les textes français, c’était de la littérature française. Un texte très littéraire. Il fallait que tu le mettes très littéraire, en latin. La composition anglaise était moins évoluée, ce n’était pas une dissertation sur un sujet précis.

En littérature française, tu te souviens de quels auteurs que vous avez étudié cette année-là?

Oh, sur trois ans [versification, belles lettres et rhétorique] on a étudié beaucoup d’auteurs. On a étudié les pièces de théâtre de Racine, de Molière, de Corneille, tu étudiais du Victor Hugo, de Lamartine, un peu de Camus, même s’il était pas tout à fait assez catholique, mais il y avait aussi Sartre, plus tard, mais pas cette année-là [versification]. Mais il y avait aussi St-Exupéry, Beaudelaire, François Villon…

Donc, c’était ta première année avec un vrai examen, conforme avec l’université.

Oui. C’était une façon pour l’université de s’assurer que notre niveau était bon. Parce qu’en rhétorique, tu passais un autre test du même genre. Puis en philo 2, tu passais ton Bacc ès arts. En versification, Ils exigeaient pas 60% dans chaque, mais ils exigeaient 60% en moyenne pour tous les tests. Et quand l’année a été finie, en versification, le dernier matin, tout le monde se levait tôt. Moi, je m’étais fait réveiller par les autres. Je dormais comme un bon, mais dans un dortoir de cent à six heures du matin, ça jasais partout.

Pendant ces trois premières années, aviez-vous des activités à l’extérieur du séminaire?

Équipe de hockey. JE est au centre, debout.
Dans ces années-là, versification compris, je pense que c’est arrivé une fois qu’on soit allé au colisée de Chicoutimi, pour une joute de hockey. Pas voir une joute de hockey, aller jouer une joute de hockey. Oui, c’est cette année-là. Parce qu’en versification, on avait une maudite bonne équipe de hockey. Il y avait quatre équipes dans notre ligue ; philo 1, rhétorique, belles lettres et versification. Nous autres, on a fini deuxième de la ligue en arrière de philo 1. Philo 1, on n’avait pas gagné contre eux autres. On jouait une fois par semaine. On s’est donc retrouvé en finale, un deux de trois, au colisée, contre philo 1. Là-dedans, je me souviens qu’il y avait Jean-Guy Girard, qui est devenu prêtre et qui a été à Roberval un bout de temps. Il y avait aussi Perron, habile avec son hockey, pas robuste, et bon patineur mais il ne battait pas de record. Pas loin du but, par exemple, il était capable de faire n’importe quoi avec la rondelle. Il y avait Bruno Boivin de Chambord, qui était un très bon défenseur, et moi, j’étais défenseur aussi. A la première game, on s’est dit une chose : on fonce. On a pris l’avance 3 à 0. Là, on a fait le contraire, on s’est replié, à quatre et à cinq. On ne les avait pas battu pendant l’année, mais là, on les a battu 3 à 2. La semaine suivante, encore au Colisée, et la seule stratégie qu’on a, c’est qu’on fonce tant qu’on peut au début puis on se replie et on dégage. On commence la partie et on se fendait en quatre. Il y avait rien que deux lignes, dans ce temps-là, t’avais pas trois ou quatre lignes. On a pris l’avance 2 à 0 puis on s’est replié. On a réussi à gagner 2 à 1. Donc deux parties à zéro, et on a gagné le championnat.

Dans cette ligue-là, pendant l’année, c’était des profs qui étaient entraîneurs ou arbitres?

JE en pleine action, à droite.
Des fois c’était nous autres, mais souvent, c’était ceux qui jouaient pas. On en a eu un qu’on appelait Ti-doce. Il était très intelligent, mais il était un peu informe, donc il était resté petit. C’était un arbitre au base-ball et à la balle molle, et souvent, il était entraîneur au hockey. Il a eu des fois des prêtres qui étaient arbitres, c’est arrivé, mais pas souvent. Habituellement, c’était des joueurs qui jouaient pas ce jour-là. Au ballon-balai et au ballon à coup de pied, sur une petite patinoire de neige tapée. Il y a eu des curés qui venaient patiner avec nous autres, comme Gilles Dion, par exemple, qui venait de Chambord, un curé de six pieds deux ou six pieds trois et qui pesait à peu près 225 livres, et quand on jouait au hockey juste pour s’amuser, on fonçait dedans, mais ça le dérangeait pas pantoute, il partait à rire, il bougeait même pas.

Et à part cette fois-là, sortiez-vous de temps en temps en ville à Chicoutimi?

Jusqu’en versification, compris, je ne le sais pas si je suis sorti, à part avec maman quand elle est venue me visiter. Ah, il me semble qu’en versification, j’ai jumpé. Je ne me souviens pas en quelle année. Cécile Bérubé, celle qui avait pensionné chez nous sur la ferme, elle s’était mariée avec Lucien Couture et a demeuré à Montréal un bout de temps. À un moment donné, il a déménagé à Chicoutimi et lui, il travaillait au séminaire, il était menuisier et faisait de l’entretien. Quand ils ont demeuré pas loin du séminaire, je suis allé faire des petits tours chez eux, improvisé, en me sauvant par en arrière. Je peux pas dire si c’est cette année-là ou l’année d’après. Je pense pas que c’était en versification, ça devait être après ça.

En te sauvant? Dans vos temps libres, vous ne pouviez pas sortir du campus?

Non, on ne pouvait pas. Mais on pouvait avoir de la visite.

Grand papa et grand-maman sont allés te visiter souvent?

Je ne sais pas si papa est venu. Parce que dans les temps où il pouvait venir, il travaillait. Maman elle prenait l’autobus et du terminus d’autobus de Chicoutimi, elle montait au séminaire à pied, pour venir me voir. Après, elle s’en allait, et elle avait un transfert à Jonquière. Si papa était là, elle s’en venait avec lui et elle pouvait l’attendre à son retour pour rentrer. Pour son travail, lui, il voyageait des copeaux. Il me semble qu’il a commencé cette année-là ou celle d’après. Il voyageait des copeaux, dans ce temps-là on appelait ça des chips. Il partait du moulin des Gagnon, et il apportait ça jusqu’à l’usine de papier à Kenogami. Plus tard, ça m’est arrivé d’en voyager avec lui et même de conduire le camion.
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[13 septembre 2011]

Cours classique: Méthode

Le cours classique, c’était huit ans. Mais après un an, tu te retrouves en Méthode, la troisième année du cours classique. Tu te retrouves avec des gens plus vieux que toi?

Bureau identique à celui que JE avait à côté
de son lit, dans le dortoir du séminaire.
Ce bureau est celui qui se trouve dans la
chambre à coucher de JE.
Oui et non. De mon âge, pour la plupart, parce que j’avais fait une huitième année [à la petite école]. J’étais parmi les plus jeune, mais pas le plus jeune. Il y en a qui avaient pris plus de temps, ou retardé avant d’entrer au séminaire. En méthode, on a eu Monsieur Demeule comme professeur. C’était la première année qu’il enseignait. Il donnait le latin le grec, les mathématiques et un autre cours, il me semble. Lui, il était à plein temps juste avec nous autres. Il était très dévoué et très compétent. Il était tout le temps très préparé. Il a jamais été pris au dépourvu. Ça a toujours été un excellent souvenir de l’avoir eu comme professeur. Et ça a été un des meilleurs profs que j’ai eu. J’en ai eu des bons, mais ça a été un des meilleurs.

C’était un prêtre aussi?

Non, il n’était pas prêtre. Je me souviens d’une anecdote avec lui. En mathématiques, à ce niveau-là, pendant les cours, je m’accotais en arrière et lisais un roman. J’avais toujours le maximum [de notes] alors il me laissait faire. Je me souviens d’un moment où on faisait de la géométrie plane. Il avait un problème au tableau, et même s’il était bon, au tableau, tu vois pas toujours tout facilement – j’ai été au tableau pendant 33 ans alors je le sais. Des fois, il faut que tu prennes du recul. À un moment donné, donc, il y en plus un qui est capable de répondre, et lui aussi est bloqué. Là, il y a Perron qui me dit : « Aie Morin, le prof est plus capable de le faire ». Pourtant, le problème semblait facile. J’ai levé ma main tranquillement et j’ai dit au professeur d’écrire ce que j’allais lui dire. Je lui ai dit quoi écrire et il n’a pas écrit bien longtemps avant de s’en rendre compte de ce que c’était comme problème. Il a continué le problème et était tout content. Ce monsieur Demeule-là il était vraiment fin. On avait quelques autres professeurs, un en anglais, je ne me rappelle pas lequel. Et on avait encore de l’histoire, de la catéchèse…

Comme c’était un séminaire, il y avait encore des cours de religion. Ils formaient aussi des prêtres avec vous autres.

Devise  (latine) inscrite au-dessus de la porte principale
de l'entrée du Séminaire; elle est toujours visible, en 2011.
"L'espoir de récolter ce que l'on sème" - (ma trad.)
Oui. Mais ma deuxième année, mon groupe qui était là, on a été une gang assez révolutionnaire. On a commencé tranquillement la révolution au séminaire. Normalement, on entrait en septembre, et on sortait aux fêtes. Mais en Méthode, on a regardé le calendrier et comme ça tombait bien, on a dit partout dans le séminaire, qu’il y allait avoir un congé à la Toussaint. Tout le monde chez eux pendant trois jours. Ça n’avait jamais existé avant. Tous les pensionnaires et les externes étaient convaincus. On était plusieurs leaders, évidemment, et les autres étudiants de méthode ont embarqué et on a parti cette idée de congé de trois jours à la Toussaint. On en a tellement parlé, qu’à un moment donné, dans la petite salle, la salle où tu réunissais les étudiants des 3 premières années, ils nous ont annoncé qu’il y avait un congé de trois jours à la Toussaint. Tout le monde était tellement convaincu, que c’était difficile de dire non à tout ce monde-là.

Et ça avait vraiment démarré avec une rumeur?

Oui, avec nous autres, une rumeur de même. Et plus tard, on en a parti d’autres. C’était la première, ça. Avant ça, ça entrait en septembre, sortait aux fêtes, et après les fêtes, ça revenait et sortait un peu à Pâques, puis à la fin de l’année. On a commencé par couper tranquillement dans la façon de faire, puis à mesure que les années ont avancées, on a fait couper plus. C’est venu qu’on avait un congé une fin de semaine par mois. Et c’est notre groupe qui a fait ça. Et on était assez révolutionnaire que quand on s’est retrouvé à la fin, ceux qui entraient pour devenir prêtre, il en est entré quatre.

Donc contrairement à la croyance populaire à l’époque, c’était donc pas une majorité de séminariste qui s’en allait vers la prêtrise. 

Non. Quand Benoit Lavallée [un ami et lointain parent de Wilfrid et Cécile] venait faire des tours chez nous. Il racontait que dans son temps, si tu avais 30 finissants, il y en avait 15 qui entrait chez les prêtres, si c’était pas 20. Quand je suis arrivé, il en entrait une dizaine ou une douzaine par an. Dans notre année, ça a tranché. Au lieu d’être 10-12, ça a tranché. Et il y en a un qui avait arrêté et était venu finir son cours avec nous autres. Et trois de notre gang. Et là-dessus, il y en a un que j’ai su plus tard qu’il était ressorti. De notre gang, il y avait Yves Gagnon, qui a été curé à Roberval. Il était dans mon groupe de finissant.
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[13 septembre 2011]

Cours classique: Élément A (Élément et Syntaxe)

Pendant la première année, comment était organisée la vie, les cours, le pensionnat?

Tu avais 4h de cours dans une journée. De huit heure à 10h, puis après ça, de 2h à 4h. À 10h30, tu avais une étude qui durait jusqu’à midi. Parfois plus tard, parce que c’était par groupe que tu allais diner. À 4h, tu étais en récréation, puis à 4h30, tu étais en étude jusqu’à 6h, l’heure du souper. Le soir, avant d’aller se coucher, une demie-heure ou une heure, tu avais encore une étude. Et quand tu étais en étude, c’était silence, il y avait un surveillant, t’étais obligé d’être là.

Les repas étaient servis dans une cafétéria? C’était quel genre de repas?

Déjeune diner souper, à des heures fixes dépendant de l’année où tu étais. Plus tard, j’ai fini par être un servant à la cafétéria. Ce que j’ai trouvé le plus difficile, c’est que quand je suis entré là, j’avais 14 ans, et chez nous, je mangeais. Pour déjeuner le matin, je mangeais une dizaine de toasts, j’étais un gros mangeur. Quand je suis arrivé là-bas, tu avais le choix entre un plat de gruau ou de corn flakes, et sur les tables, tu avais une vache à café – une grosse cafetière avec du café dedans, et ils te donnaient trois toasts. Tu mangeais pas d’œufs, et t’avais trois toasts. J’ai fini par être copain avec un gars qui servait, et je le tippais un peu, et lui, comme il était servant, il pouvait se prendre plus de toasts, il en restait toujours un peu. Je trouvais donc le moyen d’en avoir un peu plus, deux-trois ou trois-quatre de plus pratiquement chaque matin.

De la contrebande de toasts! On parle encore de la première année?

Oui, la première année. Évidemment, les autres années, il y en a eu de toutes les sortes. À un moment donné, je me suis fait acheter des douzaines d’œufs par le coiffeur, parce que je voulais manger plus à ma faim. Je les battais et je me mettais du lait. Un œuf battu dans du lait, c’est nourrissant et très bon.

Équipe de hockey, séminaire. JE est en arrière, au centre.
Tu disais que tu étais entré en septembre et ressorti en décembre, donc toi, les fins de semaines, tu restais au séminaire.

Oui. Tu avais des études en fin de semaine, mais t’avais plus de liberté. En hiver, ça jouait au hockey, il y avait aussi des terrains de tennis et de la balle molle, à l’automne et au printemps. Tu allais dans des équipes. Tu pouvais aussi te promener, il y avait des jeux de balle au mur. Moi j’aimais ça faire toutes sortes de jeux, alors j’ai appris toutes sortes de choses, d’un sport et l’autre. Plus tard, j’ai eu une raquette de tennis, mais pas la première année. Par contre, j’ai eu un gant pour jouer à la balle molle. On s’amusait.

Gant de baseball de JE datant de
 l'époque de ses études au séminaire.
Ce gant est toujours chez lui, en 2011.
On parle du gant noir que tu as encore?

Oui. Je l’ai eu la première ou la deuxième année.

En élément A, c’était tous des pensionnaires?

Non, la moitié de la classe était des externes.

Ils revenaient la fin de semaine?

Non. Ils étudiaient chez eux. Quand t’étudie, et que tu veux réussir, grouille-toi et travaille.

Parle-nous un peu de matière. Tu as commencé tout à l’heure à nous dire que dans la première année, vous faisiez du latin.

En réalité, en première année, ce qu’on a fait, c’est que jusqu’aux fêtes, on a fait la première année du séminaire [Élément]. Rendu aux fêtes, on a fait la deuxième année du séminaire [Syntaxe].

Le latin, vous appreniez à lire, écrire, parler…?

Équipe de baseball/balle molle, séminaire.
 JE est en avant, au centre.
Non. Pas parler. Le langage parlé dans ce temps-là était pas à la mode. On avait un peu d’anglais, mais ils te faisaient faire une petite rédaction anglaise. Il n’y avait pas vraiment de cours de langage parlé. Le latin, tu apprenais l’alphabet, mais aussi et surtout les déclinaisons. En français, t’as pas ça. La première chose qu’on a appris, c’était la rose. Le premier genre. La déclinaison de la rose c’était : Rosa rosa rosae rosae rosa rosam, rosae rosae rosarum rosis rosis rosas. Ça veut dire que dépendant si le mot « rose » est singulier ou pluriel, sujet, complément direct, indirect ou de nom, il s’écrit pas de la même façon. Ça dépend de sa fonction dans la phrase. Par exemple, rosam c’était le complément direct, rosarum était le complément de nom, mais au pluriel. Et en grec, c’est la même chose.

C’était un apprentissage approfondi de la langue, pas juste un survol.

Oui. Ils te donnaient des textes latins. Au début, avec les déclinaisons que tu avais appris. Il y avait 4 ou 5 types de déclinaisons différentes. Puis, il y avait les verbes. Les verbes venaient à mesure aussi. Au début, tu traduisais des textes en français, tu essayais, mais de temps en temps, tu pouvais te faire prendre. Tu écrivais et ça tenait pas debout. On appelait ça des contresens. Quand tu l’avais pas pogné de la bonne façon. À mesure que les textes étaient plus long, fallait que tu apprennes à être capable de mieux interpréter la situation où le mot se trouvait. « Rosae », il y en avait comme sujet au pluriel, mais aussi comme complément indirect. Et c’était la même chose avec les autres déclinaisons.

À part le latin et le grec, c’était quoi les autres matières?

Au début, on avait un peu d’algèbre, et un peu plus tard, en syntaxe, on a eu de la géométrie. J’ai eu comme professeur, celui qu’on appelait le « père Clam ». L’abbé Clément Lavoie. J’ai eu Erold Lavoie, en deuxième moitié de la première année. Il est devenu directeur plus tard. Il était drôle, mais il était rough. Quand t’étais franc et correct, lui était franc et correct, alors t’avais pas de problème avec. Tu faisais aussi du français, et tu faisais de l’histoire. En première année, on faisait l’Antiquité. Ça permettait de nous situer puisqu’on faisait du latin et du grec. L’histoire du temps des grecs, avec Démosthène, les rois et les empereurs et les guerres de l’antiquité. Le côté latin, la fondation de Rome. Il y a eu un peu d’Égypte, du temps de Cléopâtre, évidemment. Tu faisais pas l’histoire de la Chine, par exemple, et ces choses-là, c’était pas connu à cette époque-là. C’était surtout la Grèce Antique, puis l’Égypte, puis en avançant dans le temps, les romains. Au fil des ans, on est parti de l’Antiquité, jusqu’à l’époque contemporaine et les temps modernes avec tout ce qu’il y avait entre les deux.

Pendant ces premières années-là au séminaire, lors des vacances d’été, tu revenais chez vous à Roberval?

Oui.

Avais-tu des emplois d’été?

A 15 ans et 16 ans, j’ai pas eu d’emploi d’été. Plus tard, j’ai eu des emplois s’été. J’ai conduit des camions, travaillé au moulin de nuit, mais ça marchait pas fort.

Le moulin des Gagnon?

Celui de la pointe Scott. Et vers la fin, j’ai même donné des cours d’été. Et j’ai aussi travaillé au moulin de la rue Paradis un été. Mon oncle Philippe m’avait engagé là. J’étais payé 80 cents de l‘heure. Mais c’était au moins après ma troisième année de séminaire.
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[13 septembre 2011]

Séminariste: De nouvelles connaissances

Tu entrais donc au séminaire en Élément A. Ça permettait de faire les deux premières années condensées en une seule.

Tu pouvais, oui. Ça te permettait de faire du grec, alors que normalement, tu faisais pas de grec en première année du cours classique. On commençait le grec après les fêtes. En fait, on couvrait à peu près ce qui était fait en deuxième année à partir de la deuxième moitié de l’année. On faisait le latin de deux ans, avec des compositions. Il me semble qu’il fallait avoir une moyenne de 75 pour cette année-là. Ou plus. Le dernier qu’ils ont accepté avait 74 point et quelque chose. Un a eu 73 et n’a pas été accepté pour passer en troisième année. Fallait donc que tu réussisses. On a été treize à le réussir. Il y en a que tu as connu, comme Clermont Fradette.

Étiez-vous dans la même classe ou c’était mélangé avec les autres?

C’était une classe spéciale, Élément A. Il y avait trois classes. Deux autres classes en Élément, qu’on disait « ordinaire », parce que pour eux autres, après, c’était Syntaxe, la deuxième année. Nous autres, on avait la chance de pouvoir aller en Méthode, directement en troisième année. On était 28 ou 30, quelque chose du genre. Au moins 25 en tout cas. On avait du fun, mais ça demandait de l’étude, il fallait pas trop se laisser aller.

Tu as parlé de Clermont Fradette. Qui sont ceux que tu as connu et dont tu te souviens pendant que tu étais en élément A?

Claude Reny, Claude Larouche, Denis Paradis et JE.
Clermont Fradette était en Élément A et a fait comme moi. Il y avait Yves Laplante, aussi , que tu as peut-être connu qui est dentiste à Chicoutimi. Il y avait Michel Bussière, de Normandin. Nous, on a réussi deux ans dans un. Denis Paradis, il était déjà là, mais je l’ai connu un peu plus tard, en méthode et versification.

Il n’y en avait aucun qui venait de Roberval?

Non. Clermont venait de St-Méthode, Laplante et Bussière venaient de Normandin , Denis Paradis venait d’Hébertville, Hébertville Station. Son père était cultivateur, mais lui, je l’ai connu plus tard un peu. Pendant la première année, quand je suis arrivé, je ne connaissais à peu près personne. Par hasard, j’en ai connu qui connaissaient personne non plus. C’est le cas de Jacques Houde, qu’on a vu à la télé de Radio-Canada beaucoup plus tard. J’ai connu aussi celui qu’on appelait le petit Paradis, qui était de Chambord. Pendant l’été, aux vacances après un an, il est décédé dans un accident. Il était sur un voyage avec du bois, et une auto est rentrée là-dedans et il s’est retrouvé à terre et il est décédé. Il y avait un Thibault de St-François de Sales, il était grand, il mesurait six pieds ou six pieds un. Il est parti du séminaire pendant l’année. Plus tard, il est revenu faire un tour pour nous voir, après un an ou un an et demi, et il ne me reconnaissait même pas. De 14 à 16 ans, j’avais grandi moi, j’étais rendu aussi grand que lui. Il y avait un Audet, son père était photographe à Chicoutimi, il était externe, lui. On est devenu un genre de petit groupe d’amis, puis d’autres ce sont greffés autour de ça un peu. Et comme j’ai fait mes deux ans en un, je me suis retrouvé avec d’autres personnes dans l’année d’après. Ça a changé complètement la dynamique. Houde est parti après un bout de temps, Audet je me demande s’il a continué, Paradis était plus là. Je me suis donc retrouvé avec d’autres personnes, dans d’autres groupes. C’est là que j’ai connu Denis Paradis, par exemple.

C’est pas dans les années de séminaire que t’as connu Benoit Bouchard?

Benoit est arrivé en versification. Il avait étudié à Ste-Anne de Beaupré, au cours classique, et il est arrivé au séminaire en versification. Mais c’est cette année-là que j’ai connu Yves Gagnon, qui a été curé à Roberval. Il était dans mon groupe en Élément A.
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[13 septembre 2011]

Séminariste: Une nouvelle vie

JE, lors de la fin de notre dernier entretien, tu venais d’être accepté en Élément A au séminaire, et tu avais décidé d’y aller. Comment ça se passait l’inscription, puis l’installation?

D’abord, t’envoyais la réponse, pour dire que tu y allais. Il restait ensuite à m’organiser, organiser ma valise, une grosse valise, que j’ai encore en bas. Le linge, en fait, et comme j’allais le faire laver là-bas, il fallait qu’il soit étiqueté. La base, c’était un pantalon gris et un blazer bleu marin.

On parle de quel séminaire, celui des pères maristes?

Non. Le séminaire de Chicoutimi, c’étaient pas les pères maristes. C’était le séminaire diocésain. C’étaient des prêtres du diocèse, et non pas des pères.

Chez vous, vous n’étiez pas douze enfants, et ton frère avait 7 ans de moins que toi. Tu avais pourtant pas mal ce que tu voulais, non?

Wilfrid avec la voiture de Luc
Oui. J’étais très gâté. Il a fallu que je me décide moi-même pour aller étudier, pour partir. Les deux premiers jours m’ont paru un mois. La première année, je suis parti de la maison au début de septembre et je suis revenu dans la maison le 23 décembre. Et quand je suis rentré dans la maison, le 23 décembre, je tassais les murs, le passage était trop étroit, le plafond, je le trouvais bas. T’as été 4 mois parti… Papa, lui, il disait : « calisse, j’ai pas été capable d’étudier, et toi tu apprends ce que tu veux, vas-y! Étudie! Fais ce que tu voudras et étudie ». Évidemment, la mère elle s’ennuyait de son petit garçon. Elle en a eu deux, des garçons, mais elle aurait presque voulu en avoir 40. Elle s’est ennuyé, elle s’est ennuyé terriblement, mais c’était difficile de dire « il n’ira pas ». Je suis donc allé, mais la première année, ça a été long. Papa ne savait ni lire ni écrire, il pouvait signer son nom. Maman ne savait quasiment pas écrire non plus. Ils me le disaient. Ils étaient loin de dire « on veut te retenir ». « Tu décides d’aller étudier, alors vas-y ». D’autant plus que c’était cher un peu mais il y avait les possibilités.

La décision de partir n’était quand même pas si évidente que ça.

Non, surtout que je ne connaissais pas un chat qui y allait. Quand je suis arrivé, il y en avait deux.

De Roberval.

Oui. J’en ai revu quelques autres qui étaient plus avancés, que je connaissais comme ça, mais pas intimement. Il y avait Viateur Larouche, et Serge Cossette. Lui, je le connaissais, mais lui, il n’a pas été accepté en Élément A. C’est aussi là que j’ai vu Jean Thibault, par exemple, son père était dentiste à Roberval. Lui, je l’avais connu un peu avant, quand on était à l’école.

C’était comment, d’arriver au séminaire?

JE possède toujorus la valise qu'il avait lors de son entrée
au Séminaire en 1954. Aujourd'hui restaurée,
elle sert de coffre dans sa maison
C’était des dortoirs de 100, des grands dortoirs, la moitié d’une aile, et là-dessus, ils te disent quelle place tu vas avoir. Tu prends l’élévateur, pour monter ta valise jusqu’en haut, puis tu la pousse jusqu’à ton lit. T’as ton lit, puis un petit bureau à côté. Aujourd’hui, j’en ai un pareil dans ma chambre. Tu mets ton linge dedans. Tu as aussi un casier dans la salle de jeu et de récréation intérieure. Tu mets là les choses d’hiver, tes patins, tes hockeys, tes casquettes et tuques, tes bottes…

Et les accessoires d’école?

Tu avais un bureau à l’étude [la salle d’étude], tes livres et tes affaires sont là. T’as un bureau pour toi et il y avait une petite tablette où tu pouvais mettre plus de livres. Tu partais toujours de l’étude pour aller à tes cours. Il y avait quelques dictionnaires et livres que tu pouvais avoir besoin, et ils t’en louaient. Il y avait ce qu’on appelait des « petites bibliothèques » exprès pour louer ce que tu pouvais avoir besoin à ton niveau. Tu payais un petit montant, et quand tu le remettais à la fin, s’il était en ordre, ils te redonnaient le montant.

Le séminaire, il était situé où, à Chicoutimi?

Sur le dessus, en haut de côte de la rue Racine [proche du centre-ville actuel de Chicoutimi].

Cet édifice-là, il existe encore aujourd’hui?

Édifice de l'aile F du Cégep de Chicoutimi, en 2011. Cet
édifice était autrefois le Séminaire de Chicoutimi.
C’est devenu le Cégep de Chicoutimi. Ils ont agrandi, rénové des choses, mais c’est le Cégep de Chicoutimi.

Ce séminaire-là, il n’était pas gratuit, j’imagine.

En inscription, c’était presque négligeable. Ils voulaient surtout qu’il y ait des étudiants qui prennent la relève et deviennent des prêtres à un moment donné, j’imagine. Il y avait environ 300-350 pensionnaires et 300-350 externes, de la région de Jonquière et Chicoutimi, qui voyageaient en autobus. Les frais de scolarité, c’était 450$ ou 480$ par année. Mais là-dessus, tu étais logé et nourri. Les externes, ils avaient juste un petit montant à donner.

Grand-papa, il n’était pas riche, comment il faisait pour payer?

Tu payais par mois. Sur 10 mois, ça faisait 45 piastres par mois. Même qu’il me semble que c’était 40 piastres par mois pour la première année. C’était pas trop pire. D’autant plus qu’ils ne me nourrissaient pas et que j’étais un bon bouffeur à cet âge-là. Alors ça compensait un peu.
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[13 septembre 2011]

1954-1961: Contexte

Entrée principale de l'édifice du séminaire de
Chicoutimi, aujourd'hui l'aile F du
Cégep de Chicoutimi.
Séminaire de Chicoutimi

Au moment de l'entrée de JE au séminaire, l'édifice est le troisième séminaire à avoir été construit par l'institution. Il date de 1913. Jusqu'en 1958, il accueille les élèves du Petit Séminaire (le cours classique) et ceux du Grand Séminaire (théologie). À partir de 1958, le Grand Séminaire possède son propre édifice. En 1969, dans la foulée de la réforme de l'éducation au Québec, le séminaire devient une école secondaire privée. En 1970, le séminaire cède le bâtiment où a étudié JE au Cégep de Chicoutimi.

Le cours classique

Apporté de France par les Jésuites, le Cours classique a survécu à la conquête britannique grâce au Petit Séminaire de Québec, qui a servi de modèle aux autres séminaires fondés au Québec par la suite. Le cours classique comportait huit années:
1. Élément
2. Syntaxe
3. Méthode
4. Versification
5. Belles Lettres
6. Rhétorique
7. Philosophie I
8. Philosophie II

Le cours classique a été abandonné lors de la réforme de l'éducation au Québec. Les cinq premières années sont devenus les cinq ans du niveau secondaire. Les deux dernières sont devenues les années de formation des programmes généraux des Cégep. Une année a été éliminée du calendrier scolaire.

Jacques Houde

Né à Petit-Saguenay en 1938, Jacques Houde a fait carrière en communication à titre d'animateur de radio et de télévision. En 32 ans à Radio-Canada, on l'a entre autres vu dans les émissions Le travail à la chaîne, animé par Serge Laprade, ainsi que dans Second Regard. Il est le co-fondateur de Radio Ville-Marie

Benoît Bouchard

Né à Roberval en 1940, Benoît Bouchard est le fils de François-Xavier Bouchard, qui a été maire de Roberval de 1960 à 1969. Après avoir été directeur de la polyvalente de Roberval, Benoît a occupé le poste de directeur du Cegep de St-Félicien. Il s'est ensuite consacré à sa carrière politique en ouvrant comme député et ministre dans le cabinet Mulroney de 1984 à 1993, avant d'être ambassadeur du canada à Paris.

Yves Gagnon

L'abbé Yves Gagnon a été curé de la paroisse St-Jean-de-Brébeuf de Roberval de 1983 à 1988.
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vendredi 9 septembre 2011

Vers le séminaire

Tu as fait une huitième année, il y avait huit ans de petite école?

Photo de classe de 7e année. Jean-Eudes est au
centre-gauche (une fois de plus encerclé).
Non, il y en avait sept. Mais après sept, j’avais juste décidé de continuer. Et c’est pendant cette huitième année-là, qu’il y a eu, au télévox, un message qui disait : ceux qui désirent passer l’examen pour aller au séminaire de Chicoutimi, veuillez vous présenter à la salle Notre-Dame. J’ai pas réfléchi plus de trente secondes, je me suis levé comme si j’avais eu un ressort au fond de culotte, puis je suis parti. Je suis allé chez Monsieur Leclerc, c’est là où je serrais mon bicycle, en dessous. J’avais un beau bicycle ballon dans ce temps-là. Je suis allé à la salle Notre-Dame. Là, ils m’ont dit: "Ça prend deux piastres".
J’avais pas deux piastres, moi. Dans ce temps-là, quand t’avais dix cents dans tes poches, c’était beau. J’ai re-sauté sur mon bicycle, j’ai filé chez nous, à un mile, en mile, y’a un mile entre les deux églises. Je suis entré dans la maison, et j’ai dis à maman: "Ça me prend deux piastres".
Elle a dit "Pourquoi?"
J’ai juste dit "Passez-moi deux piastres, vite! Je suis pressé, je vais passer l’examen! Je vous expliquerai tantôt".
Elle s’est décidée et m’a donné deux piastres. Je suis reparti au plus vite, à pédaler le ventre à ras la terre. Là bas, j’ai donné mon deux piastres, mon nom et l’adresse. Puis là, on a passé l’examen. Il y avait un examen de français écrit, et un examen de mathématiques. Je pense qu’il y avait une dictée, et une petite composition. Plus tard, quand je suis arrivé chez nous, maman m’a demandé ce qui se passait. J’ai dit que j’étais allé passer l’examen pour aller au séminaire de Chicoutimi.
"Tu veux y aller?
- Je sais pas. Je verrai".
Les résultats d’examen sont arrivés à un moment donné. Par lettre. Ça disait: "Vous êtes accepté en Élément A". Hum. Ça mange quoi en hiver Élément A? Je m’informerai.
Jean-Eudes et Réjean
Comme un peu à tous les étés, on avait la visite des sœurs Bérubé. Alice était une sœur de Luc et elle était mariée à Denis Bérubé. Ils ont eu deux filles qui sont allé chez les sœurs. Quand j’étais jeune, avant même que j’aille à l’école, Cécile Bérubé était venue enseigner à l’école où j’ai fait ma première année et elle était demeuré chez mes parents vu que c’était des cousines. Il y avait aussi leur frère Lionel, qui était prêtre, et qui enseignait au séminaire de Chicoutimi. Ils sont venus faire un tour, Lionel était là, et je lui ai demandé ce que voulais dire Élément A.
Il m’a dit: "Ça veut dire que ton examen était très bon. Ça veut dire que tu pourrais faire tes deux premières années dans un an".
Il m’a demandé: "Tu vas-tu venir au séminaire?
- Je sais pas, je suis pas décidé".
Dans le temps, quand tu parlais de séminaire, c’était automatique pour pas mal de monde que si t’allais là, tu faisais un curé. Ils pensaient même pas que les médecins et les avocats étaient passés au séminaire. Les gens pas trop instruits comme mes tantes, ils me voyaient déjà curé.
J’ai pris une bonne partie de l’été à me poser des questions. Maman me disait de me décider. Et à un moment donné, j’ai dit ok, j’y vais.

C’était en quelle année exactement?

Je suis entré au séminaire en 1954. Donc ma huitième s’est passée pendant l’année 53-54. J’ai eu 14 ans pendant l’été 54, quand je suis entré au séminaire, j’avais 14 ans. Et ça aussi, ça a été un autre changement de vie.
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[25 août 2011]

Enfance en ville

Dans ces années-là, en ville, ça se passait comment avec tes amis, et l'été...

Pendant ces années-là, j’ai eu plusieurs copains. Y’avait René Perron, un petit peu Bernard Perron, y’avait Ghislain Bordeleau, Paulo Lizotte et Benoît Lizotte, et un petit Routhier aussi. On était toute une gang de chums qui allaient à l’école. Quand je revenais de l’école, je m’arrêtais au bureau de poste, c’était Réal Dumont qui était là et il nous donnait la poste. Dans ce temps-là, il triait et c’était casé par lettres et on allait demander la poste. C’est aussi dans ce temps-là que j’ai failli me faire passer sur le dos par un camion. Une imprudence de petit gars qui part en fou dans la rue. Quand le camion a arrêté, j’avais les deux mains sur le pare-choc. Mais je me suis fait frapper par un bicycle. C’était Léo Morin, un parent éloigné. Ses parents avaient une petite épicerie dans la rue Ménard et lui, il travaillait chez Léon Roy, la place où j’étais allé pour acheter ma petite pipe. Il allait dîner chez eux en bicycle, et il ventait, il avait le vent de dos. J’ai pas regardé et j’ai traversé et il m’est arrivé directement dedans. Il était terriblement peiné de ça. Mais moi, ça me m’a pas fait trop de mal.
Dans ce temps-là, on allait à la messe. J’ai été servant de messe. Des fois, on servait la messe, mais aussi aux vêpres, le dimanche soir. Quand on demeurait en haut, un soir, j’allais servir aux vêpres, et en haut, on avait mis une barrière, pour pas que Réjean, le petit frère, se retrouve la porte ouverte et descende l’escalier. Moi j’ouvrais rarement la barrière, je passais par-dessus. Mais ce soir-là, j’ai mis le pied sur la soutane que je trainais, parce qu’on mettait une soutane quand on servait, puis je me suis retrouvé sur le ventre dans l’escalier. Je me rappelle qu’en descendant, j’ai réussi à me freiner, mais comme ça descendait trop vite, j’ai planté complètement et me suis retrouvé dans le fond. Une culbute semblable, tu t’en rappelle. Évidemment, je suis pas allé aux vêpres ce soir là. On avait aussi un beau jardin dehors. Derrière le barbier Allaire. C’était sur le terrain qui est devenu plus tard le stationnement de l’église.
L'Église St-Jean-de-Brébeuf de Roberval, en 2005.
La maison des Morin était située du côté du centre
du montage.
Dans la cour chez nous, c’était en gravier. En se pratiquant, on devenait d’excellents lanceurs de roches. Des petites roches. On en choisissait des belles qui pouvaient aller loin. On se pratiquait le bras, pour pouvoir lancer sur le toit de l’église. On essayait même que la roche puisse passer par-dessus l’église, à partir de la cour chez nous. Une fois, pendant la prière du soir, ou pendant les vêpres, on s’était mis à lancer quelques roches. Il y en a une qui a bifurquée, et elle a rentré dans l’église et a glissé jusqu’en avant. On a évidemment disparu au plus vite. Il y a eu quelques questions mais évidemment, on a jamais dit la vérité, ça s’est jamais su que c’était nous autres. Benoît Lizotte, lui, était un bon lanceur. Tellement qu’à un moment donné, il en avait passé une l’autre bord de l’église et qu’il avait vérifié au cas où elle serait arrivée sur l’auto du curé. Au bord du quai, il y avait un monsieur Gagnon, un fils du monsieur Gagnon qui avait un hôtel en avant de chez nous. Lui, il s’était bâti un genre d’hôtel lui aussi. Et il avait une petite auto. Une fois, à trois quatre, on s’est mis à pousser l’auto, pour le fun. Benoît Lizotte, qui était toujours un peu pire que les autres, et qui connaissait ça un peu plus que les autres, il est allé peser sur la clutch. Dans ce temps-là, le train allait jusque sur le quai. À côté de la voie ferrée, ils avaient creusé un fossé, et la petite auto a avancé, et quand on a voulu l’arrêter, plus moyen de la stopper. La petite auto est allée jusque dans le fossé. Et c’était profond. Le derrière de l’auto était tout juste à l’extérieur du fossé. On a disparu de la circulation ça a pas été long.
En arrière de l’église, on lançait des roches parce que ça ne pouvait pas casser. Il y a des vitraux dans l’église, mais en arrière, il y avait une grosse vitre très épaisse par lisière, pour protéger le vitrail. Quand tu lançais des roches, il n’y avait pas de danger de casser la vitre, alors on en lançait de temps en temps. Une fois, j’en ai lancé une un peu trop grosse, j’imagine, et elle a fait un éclat dans la vitre. Pas dans le vitrail, mais dans la vitre de protection. Ils avaient fait une enquête, et les autres avaient dit que c’était moi, mais j’ai dit que c’était pas moi. Ça a resté comme ça, et ils ont réparé la protection.
En arrière de la maison, c’était un grand hangar. Pas le même que celui qui existe à l’heure actuelle. Y’avait même une place pour mettre une auto. Il y avait même un fenil. Mon oncle Luc, il avait gardé sa vache un bout de temps en ville, il avait fait comme une petite étable. Ça fournissait son lait pour la maison. Moi, je montais sur le fenil, je m’étais mis une pièce de bois assez longue qu’elle dépassait dehors, et elle était coincée après le toit, et je m’étais fait une balançoire. On appelait ça une balancing, dans le temps. En grandissant, je prenais du poids, et quand je me balançais trop, les planches levaient et il a fallu solidifier le toit parce qu’il était en train de lâcher. Je me souviens aussi d’une fois où papa était rentré dans la porte du garage avec son auto, il avait manqué de freins. Plus tard, je ne peux pas dire quand, ils ont débâti le hangar pour bâtir un garage à côté, en arrière de l’autre maison.
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[25 août 2011]

Vie de famille en ville

Dans la famille, à cette époque-là, pendant les années 47 à 54, comment ça se passait la vie en ville? Grand-papa travaillait comme opérateur l’été?

Oui. Et des fois, l’hiver, il a réussi à travailler pour Émile Bonneau, pour gratter [déblayer les rues]. Il avait du chômage à travers tout ça.

Il y avait déjà des programmes sociaux à cette époque-là?

Oui. Il me semble en tout cas, qu’il y avait du chômage.

Dans le cadre de son travail, sur les chantiers, Grand-papa s’absentait souvent?

Cécile et Wilfrid sur la rue Paradis.
Derrière, le clocher de St-Jean-de-Brébeuf.
Papa, des bouts de temps, il allait travailler à Normandin, des bouts de temps à Albanel. Plus souvent qu’autrement, il revenait en fin de semaine. Il travaillait cinq jours, il revenait en fin de semaine. Il restait à l’hôtel, au coin, à Normandin, des fois il restait chez quelqu’un… Quand il est allé à Albanel, on est même allé avec lui. On est allé chez ma tante Lucienne. Maman, des fois, elle filait mauvais coton, on était allé chez ma tante Lucienne, demeurer là. Lucienne c’était la sœur de Aline, donc la tante de maman, c’était la plus jeune de la famille Martel. C’est arrivé aussi qu’on soit allé à Normandin passer une semaine avec papa. Elle avait laissé Réjean à ma tante Aline dans la maison. Je me souviens d’une fois, à Albanel, quand on était chez ma tante Lucienne, et on était allé aux bleuets. Dans ce temps-là, tu partais du village, et tu t’en allais jusqu’au rang 10 de Normandin. C’était une bonne marche. Comme il n’y avait pas de bleuets sur la terre de monsieur Gaudreault, leur voisin, il fallait monter, puis traverser la clôture sur la terre d’un autre voisin pour trouver des bleuets.

Et grand-maman?

Ma mère, elle, avait ses deux enfants. Et des fois, elle faisait des dépressions. Maman elle avait été opérée de la grande opération à 28 ans. Elle disait qu’elle se sentait comme si elle était plus une femme. Elle a refait une fausse couche après Réjean. Je me rappelle que le docteur était venu et je me rappelle l’avoir vu avec le foetus, pas grand-chose, dans les mains, il avait surtout du sang après les mains, et qu’il avait mis ça dans le poêle pour faire brûler ça. À ce moment-là, on était en bas [donc à partir de 1950].

À cette époque-là, le reste de la famille vivait où? Encore au premier rang?

L'ancienne école Ste-Angèle, aujourd'hui un centre
de formation professionnelle, en 2011.
"Petit" [Joseph fils] était resté au premier rang. Il y a eu Aimé aussi, qui était le frère le plus vieux de papa. Quand on est arrivé en ville, Aimé il restait déjà en ville. Il restait là où ses enfants restent encore, Nicole reste encore là, pas loin de la rue St-Jean, la petite rue qui traversait le chemin de fer, pas loin de l’école Ste-Angèle. C’est pendant ces années-là que l’école Ste-Angèle a été bâtie. Avant que je ne parte pour aller au séminaire, Réjean a commencé à aller à l’école. On a eu bien du fun à rire de lui parce qu’il prenait sa bouteille de lait avant de partir pour aller à l’école, en première année, à six ans. On l’a taquiné pas mal, au point où il a abandonné sa bouteille de lait. Lui, il allait à l’école Ste-Angèle, qui avait été construite un peu avant, juste en arrière. La petite école où j’avais fait ma deuxième et ma troisième année existait plus, et les salles Notre-Dame et St-Jean-de-Brébeuf ont arrêté à un moment donné. Il me semble que c’est quand j’ai commencé ma sixième ou septième année qu’ils ont commencé à se servir de Ste-Angèle et Ste-Ursule à l’autre bout de la ville. Réjean a commencé là, et maman a pris les maîtresses d’école comme pensionnaires, quelques fois. C’est là qu’il y a eu Anita Doré, de Chambord, puis Thérèse Bélanger, la sœur de celui qui m’avait fait la classe, le frère Jean-René Bélanger.

C’est dans ces années-là qu’a été inventée la télévision. Aviez-vous une télévision?

Réjean et Jean-Eudes, rue Paradis.
La télé est arrivée à Roberval en 52. On l’a pas eu tout de suite. Avant d’aller au séminaire, j’ai vu la télévision quelques fois, je pense que c’était avec Raymond Guay, je pense qu’eux autres, ils l’ont eu en 52, et que j’étais allé chez eux. Ils venaient du premier rang aussi. Ils s’étaient bâtis en ville. D’ailleurs, jusqu’à pas si longtemps, la maison appartenait encore à un de ses garçon, qui est décédé y’a pas longtemps. J’étais allé là quelques fois et c’est là que j’avais vu la télévision. Ça me rappelle une anecdote avec la radio, par exemple. J’avais pris une joute de hockey, au moment où on était en bas et Marius Doré habitait en haut. C’était les éliminatoires. Dans le coin de la cuisine, il y avait une table, en métal, et la radio était sur la table. C’est là que je prenais la joute de hockey. Marius prenait la joute de hockey en haut, à peu près vis-à-vis de moi. De temps en temps, je perdais le son, et de temps en temps, lui perdait le son. On s’appelait pour s’informer s’il y avait eu un but de compté si l’autre l’avait manqué. On avait suivi la partie de hockey, qui s’était terminée à une heure ou une heure et demie du matin, dans les éliminatoires, je dormais quasiment sur la table.

À part la radio, ils avaient un tourne-disque, un gramophone?

Il n’y a pas eu de tourne-disque avant que j’aille au séminaire. Et le gramophone, ça a été plus tard. Dans la journée, ils écoutaient la radio. Je ne me rappelle pas quand a commencé CHRL. Il y avait CKRS à Jonquière, et un à Chicoutimi, Radio-Canada à Chicoutimi. Plus tard, il y a eu CHRL. C’est après coup qu’ils en ont fait un autre au Saguenay et qu’il y a eu Alma, puis Dolbeau plus tard aussi.
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[25 août 2011]

À la petite école

Après le déménagement, tu as commencé ta deuxième année à l’école.

Réjean est né au mois d’octobre 1947. Et quand il est né au mois d’octobre, moi, j’allais à l’école en deuxième année.

Dans quelle école tu allais?

C’était dans une petite école à côté d’où était le Collège Notre-Dame. On disait le Petit Collège, mais je pense que c’était appelé L’école Notre-Dame.

Il y a un rapport avec l’école Notre-Dame qui existe encore aujourd’hui?

Photo de classe de 2e année (1947-48).
JE est celui en haut à gauche, la tête encerclée
(probablement par Cécile sur la photo originale).
Oui. L’école qui existe encore était le Collège Notre-Dame. Mais il y a eu à côté – aujourd’hui il n’existe plus – l’édifice du Petit Collège. C’était là où il y a eu l’Étoile du Lac, à un moment donné. C’était dans la rue qui mène à la marina. La rue de la marina, en passant, quand on allait à l’école, on prenait un trottoir de bois, et le lac, il venait jusqu’en dessous du trottoir. Ils ont gagné du terrain pas mal depuis ce temps là pour faire la marina et tout. Au Petit collège, on donnait la première année, la deuxième année et la troisième. Et c’est là que j’ai fait ma deuxième année, avec le frère Houle. Je me rappelle que sur le coin de son bureau, il mettait deux petites boules. Et avec sa baguette, quand il y en a qui était trop distrait ou faisant mal, il donnait un coup sur une petite boule en bois, et elle volait. Tu peux être sûr que les panneaux de pupitres levaient vite. Puis j’ai fait ma troisième année dans cette école là aussi. C’était avec Jean-René Bélanger. Plus tard, chez mes parents, ils ont eu Thérèse Bélanger, qui est venue enseigner à la petite école qu’ils venaient de bâtir en arrière de chez nous. Elle était la sœur de Jean-René Bélanger. Lui, il restait chez les frères, des clercs de St-Viateur, mais je l’ai revu des années plus tard, il était sorti, il était marié et était venu visiter sa sœur, avec sa femme.

Après ça, où as-tu fais ta quatrième année?

Quatre et cinq. Ils avaient décidé de faire des travaux d’amélioration au Collège Notre-Dame. Ils ont donc donné la quatrième et cinquième année en face de l’église St-Jean-de-Brébeuf et la même chose de l’autre côté de la ville dans la salle Notre-Dame. En face de l’église, il y avait la maison du notaire Simon. Il a vendu ça quand il s’est marié. À l’étage, il y avait deux classes, et en bas, il y avait la salle paroissiale. Il y avait du billard, et l’hiver, elle servait de salle pour mettre ses patins, pour la patinoire qu’il y avait en arrière. J’ai donc fait ma quatrième année-là, et ma cinquième aussi. À ce moment-là, Cécile Tremblay, qui était l’autre maîtresse d’école avec Edouardine Dufour quand j’ai fait ma première année, c’est elle qui m’a enseigné pendant ces deux ans. C’est pendant ces années-là qu’est arrivé le décès de mon oncle Luc et qu’on a déménagé en bas.

Pendant ces cinq premières années à l’école, te souviens-tu un peu des matières qui étaient enseignées?

On apprenait à lire, et on apprenait à écrire. C’était l’essentiel. Après ça, il y avait du cathéchisme. Des cours de religion, mais à ce moment-là, on appelait ça le cathéchisme, et on apprenait pas seulement un peu, on apprenait ça d’un bout à l’autre par coeur. Il y avait aussi de la géographie et un peu d’histoire.

On parle de géographie et histoire du Québec, du Canada, du monde?

C’était surtout la géographie du Québec et du Canada parce que t’apprenait surtout l’histoire du Canada. Quand on apprenait l’histoire du Canada, je me souviens que "Christophe Colomb naquit à Gênes ville d’Italie, se fit marin à 14 ans. Après de longues années de navigation, il voulut aller aux Indes par la route de l’ouest. La reine de Castille, Isabelle, lui fournit trois petits navires pour cette expédition. Colomb s’embarqua à Palos en Espagne en 1492. Il aborda aux Îles Canaries et se dirigea vers l’ouest en plein océan Atlantique. Le voyage fut long et pénible".

Tu te souviens encore de ça par coeur?

Oui. Ça nous faisait apprendre du français en même temps. Au lieu d’étudier n’importe quel texte, tu avais des textes comme ceux-là. En plus de la lecture, il y avait aussi de l’arithmétique, tu apprenais à compter et à faire des additions, soustractions, multiplications et divisions.

Puis après la cinquième année?

L'ancien "Collège Notre-Dame", aujourd'hui
École Notre-Dame, en 2011. On peut distinguer les deux
parties de l'édifice, construites à des époques différentes.
Après la cinquième, j’ai continué, au Collège Notre-Dame, avec le frère Guillemette en sixième année. C’est cette année-là que j’ai eu mon oncle Jean-Claude dans ma classe. [Jean-Claude Girard, fils de Adgérie (qui s’était remarié), et demi-frère de Cécile]. C’est cette année-là qu’on faisait notre communion solennelle. Donc t’arrêtais l’école pendant une couple de semaines et tu faisais juste ça. C’était à l’église, au sous-bassement et c’était le curé qui venait donner tes cours de religion, de cathéchisme, et là, tu l’apprenais pis pas à peu près. Quand on allait chez nous, il y avait Russel Morin, un garçon de Joseph et Maria, qui venait suivre son cours avec nous autres, parce qu’il pouvait pas ou voulait pas le faire à Notre-Dame. C’est aussi en sixième, avec le frère Guillemette, que j’ai appris à jouer du cornet à piston. Il faisait un petit peu d’harmonie et j’avais donc appris ça. Je me rappelle encore de la gamme sur les trois pistons. Puis, après ça, j’ai continué au Collège Notre-Dame, en septième, puis en huitième. En septième, je ne me rappelle plus du nom de mon professeur, j’y vois la face, mais je me rappelle plus de son nom. En huitième, ça a été avec le frère Venne, qui était un futur père.
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[25 août 2011]

Le déménagement en ville

Au moment où vous déménagez en ville, la ferme appartient encore à Luc mais Wilfrid en a la charge. Pourquoi êtes-vous déménagé?

Wilfrid voulait descendre, parce que Cécile était malade. Elle était enceinte de Réjean et elle avait des piqures tous les jours. C’était trop compliqué pour Wilfrid de s’occuper tout seul de toute la ferme. Traire une vingtaine de vaches le matin et le soir, même avec la trayeuse, c’était compliqué. S’occuper du lait, des moutons, des cochons, des poules, et aller faire du bois l’hiver. Il y avait beaucoup de travail. Faire les foins, les semences et les récoltes de façon générale… Et Luc n’était plus capable de vraiment prendre la ferme en charge, il avait fait une crise d’angine. Et comme Wilfrid avait travaillé pour Atlas, il savait que pendant l’été, il pourrait avoir un travail avec eux-autres. Il s’est dit que c’était peut-être le bon temps pour déménager.

Où allez-vous habiter à ce moment-là?

Wilfrid, Cécile, Jean-Eudes et Réjean (bébé)
Dans la rue Paradis, Luc avait acheté une maison d’Edmond St-Pierre et il en a bâti une autre à côté sur le même terrain. Il y avait Edmour Morin qui demeurait en bas de la maison originale. Luc aurait voulu qu’il déménage pour nous laisser la place, mais ils se sont arrangés pour que nous ayons les deux appartements d’en avant, et eux, ceux d’en arrière, dans la même maison. On a donc demeuré là un bout de temps. En haut de la maison que Luc s’était bâti et où il habitait [Au rez-de-chaussée], il y avait un monsieur et une madame Kass. C’était des anglophones. Ils vendaient des tissus et des choses comme ça. Je me rappelle qu’ils avaient une petite fille. Quand eux sont partis de Roberval, nous on a déménagé en haut [de chez Luc].
Pendant qu’on a habité là, il est aussi arrivé un monsieur Gagnon, Réal Gagnon, qui était marié avec une Doré, une sœur d’André Doré de Chambord, il me semble. Il venait de se marier, et n’avait pas de logement. Il a demandé s’il pouvait louer le grand salon de l’étage qu’on habitait. Lui il travaillait, et elle avait un petit meuble qui lui servait à recouvrir des boutons en tissu. Ils habitaient donc dans le salon de notre appartement, et de temps en temps, il y avait des clients qui venaient pour faire recouvrir des boutons. Un peu après, on a aussi eu Marius Doré, qui avait marié Lucette Langlais, qui sont venus demeurer dans le grand salon à leur tour. Plus tard, quand Luc est décédé [en 1950], nous, on est descendu en bas, où on est allé retrouver Nenine, ma tante Aline, qui se retrouvait toute seule. Comme il y avait beaucoup d’ameublement déjà en bas, on a conservé les deux chambres fermées en haut, mais Marius et Lucette se sont retrouver avec le grand salon, le solarium et la cuisine.
Quand on est arrivé en ville, en arrière de chez nous, il y avait un moulin à scie. Aujourd’hui, c’est le devant de la cour de l’école Ste-Angèle. Ce moulin-là était le moulin des Bolduc. Ils prenaient les billots et les sciaient pour faire des madriers. Dans la rue paradis, il y avait le moulin des Gagnon, aussi. Quand je suis parti pour le séminaire, le moulin n’était plus là, il avait été remplacé par l’école. Mais les Bolduc habitaient encore dans ce coin-là. Je me souviens encore de mémère Bolduc.

Le déménagement a aussi entraîné un changement de style de vie, j’imagine? Moins d’auto-suffisance, il fallait acheter des choses…

Jean-Eudes avec Cécile
Oui. J’allais chez Armand Guay. C’est là qu’on faisait notre épicerie. Maman me demandait par exemple d’aller chercher un rôti de porc. On allait aussi chez Lacombe, mais pas pour l’épicerie, pour les caprices. Quand t’avais quelques monnaies, t’allait te chercher des bonbons à la cenne chez Lacombe. Armand Lacombe, il demeurait juste en avant de chez nous, et il avait son magasin pas loin, sur St-Joseph. Son fils, Lucien est resté là après lui, il a vendu la maison à son beau-frère mais est allé rester à côté du magasin, et il l’a tenu longtemps, ce magasin-là. Après ça, le magasin a été tenu par Bertrand. Armand Guay, c’était juste un peu plus loin. Et en face, il y avait un petit magasin qui s’appelait le 5-10-15. Ils vendaient des affaires à 5 cents, 10 cents et 15 cents. Et de biais, il y avait aussi Ludger Harvey, qui vendait aussi de la viande et d’autres produits d’épicerie. Comme c’était moi qui faisait les commissions, ma mère me demandait souvent « Va me chercher ça chez Armand Guay ». Armand Guay, ça a été longtemps là, je me rappelle qu’après avoir été marié, avec Gisèle, on avait ramassé des bleuets et on leur en avait vendu. Je pense que c’est son fils qui a tenu ça, longtemps après lui.
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[25 août 2011]

1940-1954: La voix de l'Histoire

Voici quelques extraits intéressants, qui mettent en contexte les souvenirs de Jean-Eudes, pour la période de 1940-1946 et celle de 1947-1954.

"Dans notre Roberval, on observe depuis environ quinze ans, une mutation décisive. La petite ville s'est grandie, sa population globale est passée de 3000 (en 1939) à 7000 (en 1954). Une hausse rapide du niveau de vie a été observée."

"En 1945, la réfection de la route régionale amena l'ouverture du boulevard Marcotte. Resserrée entre le lac et la voie ferrée, la ville sauta cette limite et rejoignit le boulevard d'un bout à l'autre. En 1946, on posa des numéros aux maisons. En 1946 s'ouvrir un théâtre-cinéma."

"Il est indubitable que Roberval s'est urbanisée. Sur une population de 1186 familles, il n'y a que 118 cultivateurs, les professionnels étant au nombre de 47, tous les autres chefs de famille étant salariés."

"Le vieillard ne parle pas de la civilisation nouvelle avec optimisme. Le vieillard, témoin de la vie des pionniers, s'étonne sans cesse du confort, de la facilité, de la diversité en tout: travail, nourriture et loisirs."

Extraits tirés de Histoire de Roberval, Coeur du Lac St-Jean, par Rossel Vien, 1955.
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1940-1954: Contexte

L'édifice Chez Léon Roy.

L'édifice J. Léon Roy a été érigé en 1898. Suite à un incendie, il est reconstruit en 1961. Il abritera par la suite le Marché d'alimentation Métro. Depuis 1998, il abrite le Cinéma Chaplin.
(Réf. par Jean-Eudes lors de l'achat de sa pipe et lors de son accident avec un vélo).

CHRL, CBJ et CKRS.

La station de radio CHRL a été fondée en mai 1949. Elle existe toujours aujourd'hui. En 2002, la station est passé à la diffusion sur bande FM.
Les stations que l'on pouvait capter de Roberval avant 1949 étaient CBJ (Chicoutimi, 1936) et CKRS (Jonquière, 1947).
(Réf. par Jean-Eudes lors des discussions sur la télé et la radio).

Assurance-Chômage.

La Loi canadienne du 7 août 1940 fondait le Plan National d'Assurance Chômage du Canada. Le régime est entré en vigueur en juillet 1941.
(Réf. par Jean-Eudes suite à une de mes questions sur l'existence de programmes sociaux).

Le Collège Notre-Dame (École Notre-Dame).

L'école Notre-Dame d'aujourd'hui a été d'abord été l'Académie Notre-Dame en 1900. Reconstruite en 1916 après un incendie, elle prend le nom de Collège Notre-Dame. Les frères maristes laissent la place aux Clercs de St-Viateurs en 1939. Le Collège est agrandi en 1951.
(Réf. par Jean-Eudes, en particulier les travaux de 1951 qui ont forcé les dirigeants à relocaliser les élèves dans des salles paroissiales).

Scieries Bolduc et Gagnon.

Antoine Bolduc arrivé en 1891 avec ses trois fils a ouvert une scierie en 1896. Il y avait là un moulin à scie, le moulage de grains et la fabrication de bardeau. En 1955, l'historien Rossel Vien mentionne à son sujet: "Le Moulin Bolduc fut la plus durable de toutes nos industries, puisqu'il comptait 50 ans quand il ferma en 1951."
La famille Bolduc est fort probablement celle qui a donné le nom à la rue Bolduc, qui forme un coude derrière l'église entre la rue Ménard et la rue Paradis.
Les frères Gagnon ouvrirent leur scierie rue Paradis en 1912. Ils ont pris de l'expansion en achetant la scierie Du Tremblay de l'autre côté de la rivière derrière la rue Ménard, puis en ouvrant des scieries à Dolbeau et St-Félicien en 1927 et 1944.
(Réf. par Jean-Eudes lors de leur déménagement en ville).