dimanche 21 août 2011

La vie sur la ferme

As-tu des souvenirs particuliers de la vie de famille sur la ferme?

Avant de parler de ferme, je vais parler de la famille.
Un peu après ma naissance. J’étais nourri au lait de vache, au lait pur. Il y avait donc des recettes pour l’adapter, parce c’était trop gras pour un bébé. Ils mettaient de l’eau bouillie. A un moment donné, j’étais très faible, j’avais des diarrhées et papa était parti, en ville, en bicycle. Il était allé chercher le médecin, et il était remonté tout de suite. Quand il est arrivé, maman pensait que j’étais mort, mais je respirais. Le médecin, après son examen, lui a dit: Il est bien trop faible votre petit garçon, donnez-y à manger, ce que vous lui donnez est trop faible! Il lui a donné une recette pour que le lait soit plus nourrissant. Pas longtemps après, tout était correct, ça s’était replacé vite.
Plus tard, ma mère a eu une petite fille, qu’elle a fait baptiser Marie-Jeanne. [Comme sa propre mère]. Elle est décédée à 13 jours, elle est décédée de la jaunisse. C’était la deuxième de la famille. Après coup, ma mère est tombée enceinte régulièrement. Si tous ses enfants étaient venus au monde, elle en aurait eu beaucoup, mais elle avortait à tous les deux ou trois mois. Elle faisait beaucoup de fausses couches, elle en a fait sept, huit ou dix fois. La raison, c’est qu’elle avait une incompatibilité sanguine – qu’aujourd’hui il est facile à régler je crois – je ne peux pas dire lequel était positif ou de quel groupe, mais il me semble que mon père était A+ et elle d’un groupe incompatible. Pour cette raison-là, elle avortait et avortait régulièrement.
Quand je suis né, Luc et Aline ont demeuré avec nous pendant encore quelques années, mais sont partis assez rapidement. Il s’est bâti une maison en ville, et je me souviens – je devais avoir 3 ou 4 ans – qu’il avait fini sa maison de clabord de bois [du lambris, dérivé de l'anglais clapboard] , avec des nœuds, et ils mettaient du shellac [gomme-laque] sur les nœuds. Et je me rappelle être assis sur des échafaudages, pas trop haut, évidemment, et d’être en train de mettre du shellac sur les nœuds.

On parle de la maison de la Rue Paradis?

De la Rue Paradis, oui. Troisième voisin de l’église. C’était cette maison-là.

La maison de la rue Paradis, on parle de laquelle des deux?

Les deux.

Luc avait bâti les deux?

Non. Il en a acheté une, et il a bâti l’autre à côté. Il avait la place pour bâtir à côté, et dans ce temps-là, il n’y avait pas de trop de réglementation ou de limites.
De temps en temps, je descendais en ville, et mon père y allait tous les jours pour aller mener le lait à la laiterie. Dans ce temps-là, on produisait du lait. Je me souviens très bien, quand j’étais très jeune, de me promener dans l’étable, avec ma petite tasse en métal argentée, et je me faisais traire du lait directement dans ma tasse. J’avais du lait frais, du lait qui venait de la vache et qui était encore chaud.

Quand ton père allait livrer el lait en ville, il n’avait pas de voiture?

Non, il n’avait pas de voiture. Luc avait une Buick 39 ou 38 ou peut-être 37. Une grosse Buick. En ville, il n’y avait pas beaucoup de voiture. Même en hiver, avec le peu de dégagement des routes, ce n’était pas recommandé d’aller se promener bien loin avec les autos. C’était beaucoup des carrioles et des sleighs [traîneaux] et des chevaux. Aux messes de minuit, même si il y en avait qui étaient en auto, la plupart arrivait avec des chevaux.

Wilfrid avec les chevaux
Votre ferme était une ferme laitière?

Oh, il y avait des moutons et des chevaux aussi. Il y avait une vingtaine de vaches laitières. Ça se faisait tout à la main, sauf la dernière année, où mon père avait acheté une trayeuse. C’était tout un événement d’avoir acheté une trayeuse. Avant de descendre le lait en ville, il y avait un puits, où ils mettaient de l’eau froide et les bidons pour y garder le lait frais. À tous les jours, ou aux deux jours, il allait livrer le lait en ville. Il allait livrer avec son cheval. On avait des très beaux chevaux.
Il y en avait une qui s’appelait la blonde. Elle était fine, et douce, mais si tu t’adonnais à être avec elle le long du chemin de fer au moment où il y avait des trains qui passaient, là elle prenait l’épouvante.
Jean-Eudes avec les chevaux.
Au loin à droite, la maison familiale.
C’était la jument préférée de ma mère, mais ma mère en avait peur, parce qu’à chaque coup, elle prenait l’épouvante et ça prenait quelqu’un qui avait du poignet pour finir par l’arrêter. On avait aussi Bebé, qui était un gros cheval tout commode. Il y avait aussi Fine, une jument noire, très belle, grosse, et quand j’avais à peu près 4 ans, je l’emmenais avec moi et elle était très docile, mais il fallait que je fasse attention pour ne pas qu’elle me pile sur les pieds. Et on avait aussi un cheval plus petit, mais qui avait du cœur. J’essaie de me rappeler son nom... Il s’appelait Prince. Il essayait, et réussissait toujours, à suivre les autres. Il était plus petit que les autres. Quand on attelait deux chevaux, pour faire ce qu’ils appelaient un « tim » de chevaux [clairement dérivé de l’anglais team], il travaillait plus que l’autre, je me souviens qu’il y mettait du cœur, que c’était un beau petit cheval.

Dans ma tête de citadin, je dois comprendre que la "petite ferme" n’était pas si petite que ça.

Jean-Eudes nourrissant les moutons
Il y avait des moutons, des chevaux, des bêtes à cornes, des vaches laitières, des poules, des porcs. Je devais avoir à peu près trois ans, trois ans et demi et c’est moi qui avait comme travail de donner la bouteille à un petit cochon et deux moutons. Ils étaient un peu abandonnés, alors je partais avec trois bouteilles de lait, j’en mettais une par terre et je donnais le biberon aux deux autres, puis quand ils avaient fini, je donnais la bouteille à l’autre. C’est assez particulier de se rappeler ces choses-là. Et j’ai des photos de ça. Je me rappelle aussi d’avoir aidé aux grains, quand ils travaillaient avec les batteuses à grain, et les avertissant quand il y en avait assez. C’est pas moi qui m’occupais de vider ça, c’était bien trop gros, même pour un adulte, ça prenait quelqu’un d’habitué, mais je les prévenais.
Parmi mes autres souvenirs sur la ferme, il y a l’eau de pâques. Mon père allait à l’eau de pâques. En hiver, il allait chercher de l’eau à la rivière, pas loin, avec un gros tonneau, et il revenait et en donnait aux animaux, car l’hiver, le système à pompe, ça ne marchait pas. Quand c’était la nuit de pâques, il partait donc, avec sa tonne, et il allait chercher de l’eau pour ses animaux. Pour ramasser de l’eau de pâques, c’était après minuit. Il en donnait à ses animaux en pleine nuit.

On parle de quelle année?

Avant que j’aille à l’école. Donc 1943-44.
Pendant ces années-là, il y avait beaucoup d'autres choses. Il y avait de la boucherie, abattre des porcs et les saigner. Je me rappelle que quand ils les saignaient, ils ramassaient le sang et faisaient attention pour ne pas qu’il caille. Ils faisaient du boudin. Je vois encore ma tante Aline. Pour faire le boudin, d’abord, ils ramassaient le sang, et ils ramassaient aussi les tripes. Ils les faisaient bouillir, les viraient à l’envers, et les grattaient comme il faut pour garder juste la pellicule propre. Puis ils mettaient du sang, un petit peu de gras, dans le tube nettoyé, puis ils le tordaient en petits bouts, ficelés, puis ils le faisaient cuire. Je me rappelle de l’avoir vu faire. Quand l’automne arrivait, ils abattaient ordinairement quelques bêtes, en vendaient, et ils gardaient un demi bœuf, une demie taure. Ils attendaient qu’il fasse assez froid, et ils le suspendaient dans le hangar qui était dehors. Pour que ça reste gelé longtemps. Ça leur permettait d’avoir de la viande pendant l’hiver.

Ils n’avaient pas de réfrigérateur, à ce moment-là.

Jean-Eudes nourrissant un petit cochon
Non. Au printemps, une autre activité de la ferme, c’était de tondre les moutons. Au printemps, la laine ne sert à rien pour le mouton, alors ils les tondaient. À la main, c’était pas électrique. Dans le temps, les barbiers avaient quasiment le même outil. C’était comme une tondeuse moderne, mais manuelle. Quand ils étaient tondus, ils faisaient désinfecter la laine des moutons en la faisant bouillir dans une grosse cuve. Ils l’apportaient en ville pour la faire traiter, puis ils obtenaient pas encore une laine qui pouvait servir, mais avec le rouet, tu pouvais la tordre pour en faire une laine un peu filée. Comme ils avaient des portées de moutons de temps en temps, ça leur arrivait aussi de vendre des moutons.

Autrement dit, ils s’auto-suffisaient sur la ferme?

Oui, ils s’auto-suffisaient. Quand mon père allait mener le lait à la laiterie, ils s’en revenaient avec ce qu’il appelait le «petit lait». C’était ce qui restait du lait du fromage. Il se servait de ça au lieu de mettre de l’eau dans la moulée des porcs. Les porcs, ils les nourrissaient aussi avec des patates. D’ailleurs, quand ils ramassaient les patates, ils passaient d’abord avec la charrue, pour les déterrer. Je me rappelle – je devais avoir à peu près 4 ans, j’imagine - ma job c’était de ramasser les plus petites patates. Les grosses patates étaient ramassées dans des chaudières, puis placées dans des poches, puis plus tard, ils les mettaient dans ce qu’ils appelaient la cave de dehors. C’était un trou, comme une cave, à l’extérieur de la maison. Ils les mettaient là pour que ça reste frais, pour que ça se préserve. Les petites patates, on les faisait cuire, dehors, dans l’eau bouillante, puis on les donnait aux porcs. Ça aidait à engraisser les porcs et ça coûtait moins cher que de la moulée. Tu récupérais en même temps les trop petites patates.
Wilfrid sur la ferme, avec cochons et poules
Ils utilisaient tout ce qu’ils produisaient. Les chevaux, par exemple, c’était le foin. Ils l’engrangeaient. Le foin était cultivé, l’avoine était cultivée, ils n’avaient pas besoin d’en acheter. D’ailleurs, quand c’était le temps d’engranger le foin, ils reculaient la charrette de foin, et là, il y avait une sorte de fourche mécanique à deux brins. Celui qui était sur le voyage de foin recevait la fourche, et la piquait dans la balle de foin. Pour monter le foin en l’air, ils avaient une corde, tirée par un cheval, la balle de foin tombait alors sur une track, et plus loin, il y avait une autre corde, qui faisait tomber le foin au bon endroit dans le fani [fenil] si on la tirait en donnant un coup sec. Ça m’est arrivé, avec mes chevaux les plus fins, de m’occuper de faire avancer le cheval. Il fallait que je fasse attention de ne pas me faire piler sur les pieds. Le cheval était grand et moi, j’étais pas grand.

Il y avait combien d’édifices sur la ferme, à part la maison? L’étable, la grange…

Dans le même édifice, l’étable était fermée et isolée jusqu’à un certain point. La grange en était la continuité, mais beaucoup plus aérée, beaucoup moins isolée. Il y avait aussi le jardin. Chez nous, le jardin, c’était toujours labouré, et hersé avec l’aide des animaux. Une fois fait, c’était clos, fermé, et il fallait prendre un escalier de chaque côté de la clôture. On traversait, et il y avait un petit palier sur la clôture, pour atteindre le jardin. Et juste à côté, ils faisaient des "couches chaudes". Au lieu d’avoir une serre pour commencer les semis, ils commençaient leurs semis dans le côté du jardin. Ils enlevaient de la terre, ils mettaient du fumier en dessous, c’était plus chaud. Et ils semaient là-dessus, et c’était recouvert de portes vitrées. On pouvait y accéder en ouvrant les portes vitrées, qui étaient directement sur le sol. Ça faisait un effet de serre, et c’était grand comme une table à dîner. Ils plantaient quelques fleurs, mais surtout des légumes. Les plants de tomates, des salades… Ils cultivaient peu de fleurs, quelques de pensées, mais sinon, ils avaient déjà trop d’ouvrage avec le reste de la ferme.
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[19 août 2011 / 25 août 2011]

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