dimanche 28 août 2011

Vie de famille et première année à l'école

Quand Luc et Aline sont partis en ville, ça a laissé tes parents en charge de tout.

Oui. D'ailleurs, je vais t'en conter une bonne sur ça. Après que Luc ait été parti, donc je devais avoir 3 ans, mes parents allaient traire les vaches le matin et moi, qui était déjà un bon dormeur, je me levais habituellement à 10h ou 11h. Un matin, pour une raison que j’ignore, je me suis réveillé, et dans ce temps-là, les gens disaient que c’était comme dans un mauvais rêve. On a dit que j’avais le pesant. En fait, tu te lèves, tu marches, mais tu rêves. C’était en plein hiver, j’ai ôté mes pantalons de pijama et je suis sorti dehors. Je suis parti en criant après mes parents, mais je ne suis pas allé vers l’étable. Je suis parti pour aller chez le voisin, par le chemin [la route principale]. J’ai vu madame Bolduc sortir de chez elle, mais j’étais encore à un bon petit bout. Je suis nu pieds, j’ai pas de culotte et juste mon corps de pijama. Je lui ai crié et j’ai essayé de piquer directement par le champ. Je pars donc dans la neige, je traverser par-dessus la clôture, je cale dans la neige. Il y a une broche piquante sur le dessus et je me rappelle de m’être égratigné le zizi. La madame ne m’a pas entendu, j’étais trop loin, elle est rentré dans la maison. J’ai décidé de rebrousser chemin et revenir. Je suis revenu tranquillement, en pleurant. Quand je suis rentré dans la cour chez nous, il y avait là, le petit Bernier. Jules Bernier. C’était le plus jeune des garçons de madame Bernier, qui venait tous les jours chercher une chaudière de lait. Il m’a vu dehors, il m’a fait entrer dans la maison et est allé à l’étable dire à mes parents que j’étais dehors. Ils ont laissé la traite des vaches et sont rentré dans la maison à la course. Quand ils sont rentrés, je sautais en l’air; je dégelais.
Jean-Eudes et Wilfrid
Papa est allé dans la cave, qui n’était pas creusée beaucoup, une cave de terre battue. Il a pris de la terre pour que je puisse me dégeler les pieds dans de la terre fraîche. J’ai pleumé – c’est le bon mot – de la ceinture jusqu’aux pieds. Depuis ce temps-là, j’ai toujours été fragile pour geler des pieds. Plus tard, quand j’allais patiner, après une période, j’avais toujours les pieds gelés et il fallait que j’enlève mes patins et que je courre pour les dégeler et rétablir la circulation. Ça m’a marqué, je me rappelle très bien du chemin que j’ai fait dans la neige.

Dans ces dernières années sur la ferme, quand Wilfrid et Cécile opérait la ferme, ça leur appartenait ou c’était encore à Luc?

Je pense que c’était encore à Luc. D’ailleurs, jusqu’à la dernière année, il venait travailler sur la ferme. Il partait de la ville et montait à pied pour venir aider, comme dans le temps des foins ou quand c’était le temps de ramasser les patates. Je me souviens d’ailleurs d’une petite anecdote avec Luc. Mon père, il fumait la pipe et Luc, lui, il fumait pas. Je me souviens d’une journée, où j’étais avec lui, en ville, et je voulais avoir une pipe, pour fumer. Dans le temps, les hommes fumaient, pour la plupart. J’étais parti avec Luc, à pied, et on était allé chez Léon Roy, où se trouve le Cinéma Chaplin aujourd’hui. Chez Léon Roy, on avait trouvé une petite pipe, que Luc m’avait achetée. Sans dire qu’il était mon grand-père, il se comportait comme un grand-père gâteau, qui donne des caprices.

À cette époque-là, ton grand-père, Stanislas, il était où?

Aline, Cécile et Jean-Eudes
Mon grand-père Stanislas est mort j’étais très jeune. [Stanislas Morin est décédé en 1946]. Quand il est mort, il était rendu en ville aussi, sur la rue Ménard. Il restait dans la maison à côté d’où Philippe s’est bâti à un moment donné. [Philippe-Auguste, frère de Wilfrid et plus jeune fils de Stanislas]. Je ne l’ai pas connu beaucoup. Je me rappelle d’une chose. Il était exposé à la maison, et la tombe était là, avec un prie-Dieu devant. Je me rappelle d’être monté debout sur le prie-Dieu. Il y avait papa d’un côté, et mon oncle Philippe de l’autre. Je leur avais posé des questions. Je ne me rappelle plus des questions ni des réponses, mais je me rappelle qu’on avait parlé, et d’avoir vu mon grand-père, là. À part ça, je ne me rappelle pas vraiment de lui. Je n’ai jamais habité proche. Il était déjà rendu en ville, quand je suis né, je pense, mais il avait habité au premier rang avant ça. Au coin du rang et de la route des sauvages qui menait à Ste-Hedwidge. Mon oncle Charles et mon oncle Aimé ont demeuré là un bout de temps, avant qu’Aimé descende en ville. Je me rappelle d’un trajet vers la messe de minuit. Mon oncle Aimé était parti du premier rang, il s’était arrêté chez nous – la route passait devant chez nous -, et on était reparti ensemble. On était parti avec un petit dix onces de quelque chose… et les deux messieurs avaient du fun. Celui d’en avant prenait une petite gorgée, puis laissait la bouteille sur la falaise. L’autre la ramassait en passant, prenait aussi une gorgée, puis dépassait le premier. Plus loin, il reprenait une gorgée et laissait la bouteille sur la falaise.
Je me souviens aussi qu’on ait eu des pensionnaires à la maison. Je me souviens de deux, en particulier. On avait une cuisine, en arrière, qui était fermée l’hiver, parce que c’était pas assez isolé. Le reste de la maison n’était déjà pas trop isolé. Dans le temps, on avait une grosse fournaise à bois, qui servait l’hiver pour chauffer la maison. On se levait le matin, c’était froid. C’était pour ça qu’on avait des grosses douillettes, pour être bien caché pendant la nuit et le matin. Il est arrivé que des gens sont venus pour demander à être hébergés. Je pense qu’ils se servaient de la cuisine d’été avec du chauffage pendant le jour, et le soir, ils couchaient à l’étage, il y avait plusieurs chambres. Je ne me souviens pas de tout… mais je me souviens de Stanislas Shumanski. Il était arrivé, quand sa femme était enceinte de Denise, sa plus vieille. Elle faisait ce qu’ils appelaient « tomber des clampsies » [éclampsie]. Quand ça a été le temps d’accoucher, c’est mon père qui l’avait emmené en ville, parce que Stanislas devait gagner sa vie et était rendu dans le bois à ce moment-là, il travaillait et pouvait pas faire autrement. C’est papa qui l’avait rentré à l’hôpital, et là, ils demandaient qui allait payer pour elle, et mon père m’a raconté qu’il avait crissé après la mère supérieure qui était là en lui disant que si c’était une sœur et qu’elle se servait de sa tête, ils commenceraient par la soigner. C’était plus catégorique, je ne me souviens pas des mots justes. Et il me semble que la supérieure était la cousine de la femme, ou la cousine du mari…
Jean-Eudes avec Stanislas Shumanski
Stanislas Shumanski, il était arrivé au Québec, après la guerre de 14-18. Il avait 14 ans. Il était d’origine polonaise. Il travaillait sur des fermes pour gagner sa vie et il restait là, souvent. Avant la guerre 39-45, il communiquait, il envoyait des lettres à ses frères et sœurs. Quand je suis né, je sais parce qu’on m’a raconté, que si je pleurais, il se levait et me promenait dans ses bras, pour m’endormir.
C’était arrivé une autre fois… Marcel, il me semble son nom. C’était le fils d’un entrepreneur qui avait une compagnie pour construire des routes. Il conduisait des camions pour son père… Je ne sais pas ce qui lui est arrivé, mais il est arrivé chez nous et a demandé d’être hébergé un bout de temps. Combien il a été de temps, je ne le sais pas. C’est difficile à dire.

Est-ce qu’il y avait de l’électricité dans la maison?

Le plus loin que je me rappelle, dans la maison, il n’y avait pas d’électricité, mais à un moment donné, ils en ont fait mettre. Quand, précisément, j’en ai aucune idée. Peut-être en même temps qu’ils ont eu la trayeuse électrique pour l’étable. A peu près en même temps, le Boulevard St-Dominique a été refait, par la compagnie Atlas. Mon père a travaillé pour la compagnie Atlas, à ce moment-là, même si on était sur la ferme. Il travaillait comme helper, sur le camion d’essence. Pendant les travaux, il y avait quelqu’un qui s’occupait de ce qu’ils appelaient un grader à fossé [une niveleuse]. C’était un engin qui servait à creuser les fossés. À un moment donné, celui qui s’en occupait était parti – il venait de la région de Montréal je pense – et il n’était pas encore revenu alors qu’ils en avaient besoin. Ils ont demandé à un bas salarié, l’helper du camion-citerne, de le remplacer, en essayant de lui montrer comment s’en servir.
En refaisant la route, ils ont découvert, que dans la coulée de l’autre bord du chemin, en avant de chez nous, il y avait une belle source d’eau. Ils se sont organisés avec une pompe électrique, donc à ce moment-là, nous avions l’électricité pour la pompe. Avant ça, il y avait de l’électricité à des endroits, mais je pense que c’est à peu près à ce moment-là que nous avons été branchés au réseau.

Qu’est-ce qu’il y avait comme appareil électrique dans la maison au début?

L’électricité a d’abord servi pour la trayeuse, dans l’étable. Ils ont aussi mis quelques ampoules électriques et ils en ont aussi mis dans la maison. On a aussi eu quelques prises de courant, et c’est après ça que nous avons commencé à avoir de la radio. Il me semble qu’ils prenaient un poste comme CKAC, mais de Jonquière. Évidemment, le son n’était pas des meilleurs. Ça arrivait que pour des raisons quelconques, tu entendais plus rien, ou du grichage de statique, mais t’avais de la radio à travers ça. Et dans ce temps-là, la radio était quasiment de la grosseur d’un meuble.

Cette période-là nous amène à tes débuts à l’école. À quel âge as-tu commencé l’école.

À six ans. Mais il y avait eu des pensionnaires chez nous, Jeannette, et aussi Cécile Bérubé. Elles m’avaient aidé à apprendre bien des affaires. C’étaient les maîtresses d’école de l’école proche de chez nous. Elles habitaient chez nous. Cécile était dans la parenté; sa mère, c’était une sœur de Luc et Stanislas. Quand moi j’ai commencé l’école, elles étaient parties, avaient eu du travail plus près de chez eux, près de Chambord. Moi, j’ai eu Edouardine Dufour comme professeur en première année. Dans ma classe, il y avait une rangée de deux bancs en première année, une autre rangée en deuxième année, et une rangée en troisième année. L’autre classe avait les quatrième, cinquième, sixième et septième.

Cette école-là, elle était située où?

Elle existe encore. Évidemment plus comme école, mais la bâtisse est encore là, dans le rang [Boulevard St-Dominique]. Monsieur Dufour, qui était de l’autre côté du cimetière, demeurait en face de monsieur Bernier, qui lui, était voisin de l’école. Pour moi, c’était plus proche que pour la plupart des élèves qui étaient là, même si j’avais à traverser toute la largeur du cimetière. Je me souviens d’ailleurs de l’avoir traversé une fois, de sur la falaise, et il est arrivé un souffleur. Je me suis mis à courir pour me sauver, parce que le souffleur élargissait la route, mais le gars m’a vu et m’a laissé descendre et courir chez nous.

Vous étiez combien d’écoliers dans cette école?

En première année, on était à peu près huit, neuf. Et il y en avait juste une qui me faisait la guerre pour être première de classe.

Tu as été longtemps à cette école?

Non. J’ai fait ma première année, et après coup, on a déménagé en ville. Là, ça a été une vie complètement différente.
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[19 août 2011 / 25 août 2011]

1 commentaire:

  1. Bon j'ai lu le 21 août, je suis rendu au 28 août......T'avais quelle âge quand t'as failli mourir? Tu nous avais jamais dit ça.....c'est super intéressant...je continue de lire plus tard...
    A +
    Soph

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