dimanche 28 août 2011

Vie de famille et première année à l'école

Quand Luc et Aline sont partis en ville, ça a laissé tes parents en charge de tout.

Oui. D'ailleurs, je vais t'en conter une bonne sur ça. Après que Luc ait été parti, donc je devais avoir 3 ans, mes parents allaient traire les vaches le matin et moi, qui était déjà un bon dormeur, je me levais habituellement à 10h ou 11h. Un matin, pour une raison que j’ignore, je me suis réveillé, et dans ce temps-là, les gens disaient que c’était comme dans un mauvais rêve. On a dit que j’avais le pesant. En fait, tu te lèves, tu marches, mais tu rêves. C’était en plein hiver, j’ai ôté mes pantalons de pijama et je suis sorti dehors. Je suis parti en criant après mes parents, mais je ne suis pas allé vers l’étable. Je suis parti pour aller chez le voisin, par le chemin [la route principale]. J’ai vu madame Bolduc sortir de chez elle, mais j’étais encore à un bon petit bout. Je suis nu pieds, j’ai pas de culotte et juste mon corps de pijama. Je lui ai crié et j’ai essayé de piquer directement par le champ. Je pars donc dans la neige, je traverser par-dessus la clôture, je cale dans la neige. Il y a une broche piquante sur le dessus et je me rappelle de m’être égratigné le zizi. La madame ne m’a pas entendu, j’étais trop loin, elle est rentré dans la maison. J’ai décidé de rebrousser chemin et revenir. Je suis revenu tranquillement, en pleurant. Quand je suis rentré dans la cour chez nous, il y avait là, le petit Bernier. Jules Bernier. C’était le plus jeune des garçons de madame Bernier, qui venait tous les jours chercher une chaudière de lait. Il m’a vu dehors, il m’a fait entrer dans la maison et est allé à l’étable dire à mes parents que j’étais dehors. Ils ont laissé la traite des vaches et sont rentré dans la maison à la course. Quand ils sont rentrés, je sautais en l’air; je dégelais.
Jean-Eudes et Wilfrid
Papa est allé dans la cave, qui n’était pas creusée beaucoup, une cave de terre battue. Il a pris de la terre pour que je puisse me dégeler les pieds dans de la terre fraîche. J’ai pleumé – c’est le bon mot – de la ceinture jusqu’aux pieds. Depuis ce temps-là, j’ai toujours été fragile pour geler des pieds. Plus tard, quand j’allais patiner, après une période, j’avais toujours les pieds gelés et il fallait que j’enlève mes patins et que je courre pour les dégeler et rétablir la circulation. Ça m’a marqué, je me rappelle très bien du chemin que j’ai fait dans la neige.

Dans ces dernières années sur la ferme, quand Wilfrid et Cécile opérait la ferme, ça leur appartenait ou c’était encore à Luc?

Je pense que c’était encore à Luc. D’ailleurs, jusqu’à la dernière année, il venait travailler sur la ferme. Il partait de la ville et montait à pied pour venir aider, comme dans le temps des foins ou quand c’était le temps de ramasser les patates. Je me souviens d’ailleurs d’une petite anecdote avec Luc. Mon père, il fumait la pipe et Luc, lui, il fumait pas. Je me souviens d’une journée, où j’étais avec lui, en ville, et je voulais avoir une pipe, pour fumer. Dans le temps, les hommes fumaient, pour la plupart. J’étais parti avec Luc, à pied, et on était allé chez Léon Roy, où se trouve le Cinéma Chaplin aujourd’hui. Chez Léon Roy, on avait trouvé une petite pipe, que Luc m’avait achetée. Sans dire qu’il était mon grand-père, il se comportait comme un grand-père gâteau, qui donne des caprices.

À cette époque-là, ton grand-père, Stanislas, il était où?

Aline, Cécile et Jean-Eudes
Mon grand-père Stanislas est mort j’étais très jeune. [Stanislas Morin est décédé en 1946]. Quand il est mort, il était rendu en ville aussi, sur la rue Ménard. Il restait dans la maison à côté d’où Philippe s’est bâti à un moment donné. [Philippe-Auguste, frère de Wilfrid et plus jeune fils de Stanislas]. Je ne l’ai pas connu beaucoup. Je me rappelle d’une chose. Il était exposé à la maison, et la tombe était là, avec un prie-Dieu devant. Je me rappelle d’être monté debout sur le prie-Dieu. Il y avait papa d’un côté, et mon oncle Philippe de l’autre. Je leur avais posé des questions. Je ne me rappelle plus des questions ni des réponses, mais je me rappelle qu’on avait parlé, et d’avoir vu mon grand-père, là. À part ça, je ne me rappelle pas vraiment de lui. Je n’ai jamais habité proche. Il était déjà rendu en ville, quand je suis né, je pense, mais il avait habité au premier rang avant ça. Au coin du rang et de la route des sauvages qui menait à Ste-Hedwidge. Mon oncle Charles et mon oncle Aimé ont demeuré là un bout de temps, avant qu’Aimé descende en ville. Je me rappelle d’un trajet vers la messe de minuit. Mon oncle Aimé était parti du premier rang, il s’était arrêté chez nous – la route passait devant chez nous -, et on était reparti ensemble. On était parti avec un petit dix onces de quelque chose… et les deux messieurs avaient du fun. Celui d’en avant prenait une petite gorgée, puis laissait la bouteille sur la falaise. L’autre la ramassait en passant, prenait aussi une gorgée, puis dépassait le premier. Plus loin, il reprenait une gorgée et laissait la bouteille sur la falaise.
Je me souviens aussi qu’on ait eu des pensionnaires à la maison. Je me souviens de deux, en particulier. On avait une cuisine, en arrière, qui était fermée l’hiver, parce que c’était pas assez isolé. Le reste de la maison n’était déjà pas trop isolé. Dans le temps, on avait une grosse fournaise à bois, qui servait l’hiver pour chauffer la maison. On se levait le matin, c’était froid. C’était pour ça qu’on avait des grosses douillettes, pour être bien caché pendant la nuit et le matin. Il est arrivé que des gens sont venus pour demander à être hébergés. Je pense qu’ils se servaient de la cuisine d’été avec du chauffage pendant le jour, et le soir, ils couchaient à l’étage, il y avait plusieurs chambres. Je ne me souviens pas de tout… mais je me souviens de Stanislas Shumanski. Il était arrivé, quand sa femme était enceinte de Denise, sa plus vieille. Elle faisait ce qu’ils appelaient « tomber des clampsies » [éclampsie]. Quand ça a été le temps d’accoucher, c’est mon père qui l’avait emmené en ville, parce que Stanislas devait gagner sa vie et était rendu dans le bois à ce moment-là, il travaillait et pouvait pas faire autrement. C’est papa qui l’avait rentré à l’hôpital, et là, ils demandaient qui allait payer pour elle, et mon père m’a raconté qu’il avait crissé après la mère supérieure qui était là en lui disant que si c’était une sœur et qu’elle se servait de sa tête, ils commenceraient par la soigner. C’était plus catégorique, je ne me souviens pas des mots justes. Et il me semble que la supérieure était la cousine de la femme, ou la cousine du mari…
Jean-Eudes avec Stanislas Shumanski
Stanislas Shumanski, il était arrivé au Québec, après la guerre de 14-18. Il avait 14 ans. Il était d’origine polonaise. Il travaillait sur des fermes pour gagner sa vie et il restait là, souvent. Avant la guerre 39-45, il communiquait, il envoyait des lettres à ses frères et sœurs. Quand je suis né, je sais parce qu’on m’a raconté, que si je pleurais, il se levait et me promenait dans ses bras, pour m’endormir.
C’était arrivé une autre fois… Marcel, il me semble son nom. C’était le fils d’un entrepreneur qui avait une compagnie pour construire des routes. Il conduisait des camions pour son père… Je ne sais pas ce qui lui est arrivé, mais il est arrivé chez nous et a demandé d’être hébergé un bout de temps. Combien il a été de temps, je ne le sais pas. C’est difficile à dire.

Est-ce qu’il y avait de l’électricité dans la maison?

Le plus loin que je me rappelle, dans la maison, il n’y avait pas d’électricité, mais à un moment donné, ils en ont fait mettre. Quand, précisément, j’en ai aucune idée. Peut-être en même temps qu’ils ont eu la trayeuse électrique pour l’étable. A peu près en même temps, le Boulevard St-Dominique a été refait, par la compagnie Atlas. Mon père a travaillé pour la compagnie Atlas, à ce moment-là, même si on était sur la ferme. Il travaillait comme helper, sur le camion d’essence. Pendant les travaux, il y avait quelqu’un qui s’occupait de ce qu’ils appelaient un grader à fossé [une niveleuse]. C’était un engin qui servait à creuser les fossés. À un moment donné, celui qui s’en occupait était parti – il venait de la région de Montréal je pense – et il n’était pas encore revenu alors qu’ils en avaient besoin. Ils ont demandé à un bas salarié, l’helper du camion-citerne, de le remplacer, en essayant de lui montrer comment s’en servir.
En refaisant la route, ils ont découvert, que dans la coulée de l’autre bord du chemin, en avant de chez nous, il y avait une belle source d’eau. Ils se sont organisés avec une pompe électrique, donc à ce moment-là, nous avions l’électricité pour la pompe. Avant ça, il y avait de l’électricité à des endroits, mais je pense que c’est à peu près à ce moment-là que nous avons été branchés au réseau.

Qu’est-ce qu’il y avait comme appareil électrique dans la maison au début?

L’électricité a d’abord servi pour la trayeuse, dans l’étable. Ils ont aussi mis quelques ampoules électriques et ils en ont aussi mis dans la maison. On a aussi eu quelques prises de courant, et c’est après ça que nous avons commencé à avoir de la radio. Il me semble qu’ils prenaient un poste comme CKAC, mais de Jonquière. Évidemment, le son n’était pas des meilleurs. Ça arrivait que pour des raisons quelconques, tu entendais plus rien, ou du grichage de statique, mais t’avais de la radio à travers ça. Et dans ce temps-là, la radio était quasiment de la grosseur d’un meuble.

Cette période-là nous amène à tes débuts à l’école. À quel âge as-tu commencé l’école.

À six ans. Mais il y avait eu des pensionnaires chez nous, Jeannette, et aussi Cécile Bérubé. Elles m’avaient aidé à apprendre bien des affaires. C’étaient les maîtresses d’école de l’école proche de chez nous. Elles habitaient chez nous. Cécile était dans la parenté; sa mère, c’était une sœur de Luc et Stanislas. Quand moi j’ai commencé l’école, elles étaient parties, avaient eu du travail plus près de chez eux, près de Chambord. Moi, j’ai eu Edouardine Dufour comme professeur en première année. Dans ma classe, il y avait une rangée de deux bancs en première année, une autre rangée en deuxième année, et une rangée en troisième année. L’autre classe avait les quatrième, cinquième, sixième et septième.

Cette école-là, elle était située où?

Elle existe encore. Évidemment plus comme école, mais la bâtisse est encore là, dans le rang [Boulevard St-Dominique]. Monsieur Dufour, qui était de l’autre côté du cimetière, demeurait en face de monsieur Bernier, qui lui, était voisin de l’école. Pour moi, c’était plus proche que pour la plupart des élèves qui étaient là, même si j’avais à traverser toute la largeur du cimetière. Je me souviens d’ailleurs de l’avoir traversé une fois, de sur la falaise, et il est arrivé un souffleur. Je me suis mis à courir pour me sauver, parce que le souffleur élargissait la route, mais le gars m’a vu et m’a laissé descendre et courir chez nous.

Vous étiez combien d’écoliers dans cette école?

En première année, on était à peu près huit, neuf. Et il y en avait juste une qui me faisait la guerre pour être première de classe.

Tu as été longtemps à cette école?

Non. J’ai fait ma première année, et après coup, on a déménagé en ville. Là, ça a été une vie complètement différente.
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[19 août 2011 / 25 août 2011]

dimanche 21 août 2011

La vie sur la ferme

As-tu des souvenirs particuliers de la vie de famille sur la ferme?

Avant de parler de ferme, je vais parler de la famille.
Un peu après ma naissance. J’étais nourri au lait de vache, au lait pur. Il y avait donc des recettes pour l’adapter, parce c’était trop gras pour un bébé. Ils mettaient de l’eau bouillie. A un moment donné, j’étais très faible, j’avais des diarrhées et papa était parti, en ville, en bicycle. Il était allé chercher le médecin, et il était remonté tout de suite. Quand il est arrivé, maman pensait que j’étais mort, mais je respirais. Le médecin, après son examen, lui a dit: Il est bien trop faible votre petit garçon, donnez-y à manger, ce que vous lui donnez est trop faible! Il lui a donné une recette pour que le lait soit plus nourrissant. Pas longtemps après, tout était correct, ça s’était replacé vite.
Plus tard, ma mère a eu une petite fille, qu’elle a fait baptiser Marie-Jeanne. [Comme sa propre mère]. Elle est décédée à 13 jours, elle est décédée de la jaunisse. C’était la deuxième de la famille. Après coup, ma mère est tombée enceinte régulièrement. Si tous ses enfants étaient venus au monde, elle en aurait eu beaucoup, mais elle avortait à tous les deux ou trois mois. Elle faisait beaucoup de fausses couches, elle en a fait sept, huit ou dix fois. La raison, c’est qu’elle avait une incompatibilité sanguine – qu’aujourd’hui il est facile à régler je crois – je ne peux pas dire lequel était positif ou de quel groupe, mais il me semble que mon père était A+ et elle d’un groupe incompatible. Pour cette raison-là, elle avortait et avortait régulièrement.
Quand je suis né, Luc et Aline ont demeuré avec nous pendant encore quelques années, mais sont partis assez rapidement. Il s’est bâti une maison en ville, et je me souviens – je devais avoir 3 ou 4 ans – qu’il avait fini sa maison de clabord de bois [du lambris, dérivé de l'anglais clapboard] , avec des nœuds, et ils mettaient du shellac [gomme-laque] sur les nœuds. Et je me rappelle être assis sur des échafaudages, pas trop haut, évidemment, et d’être en train de mettre du shellac sur les nœuds.

On parle de la maison de la Rue Paradis?

De la Rue Paradis, oui. Troisième voisin de l’église. C’était cette maison-là.

La maison de la rue Paradis, on parle de laquelle des deux?

Les deux.

Luc avait bâti les deux?

Non. Il en a acheté une, et il a bâti l’autre à côté. Il avait la place pour bâtir à côté, et dans ce temps-là, il n’y avait pas de trop de réglementation ou de limites.
De temps en temps, je descendais en ville, et mon père y allait tous les jours pour aller mener le lait à la laiterie. Dans ce temps-là, on produisait du lait. Je me souviens très bien, quand j’étais très jeune, de me promener dans l’étable, avec ma petite tasse en métal argentée, et je me faisais traire du lait directement dans ma tasse. J’avais du lait frais, du lait qui venait de la vache et qui était encore chaud.

Quand ton père allait livrer el lait en ville, il n’avait pas de voiture?

Non, il n’avait pas de voiture. Luc avait une Buick 39 ou 38 ou peut-être 37. Une grosse Buick. En ville, il n’y avait pas beaucoup de voiture. Même en hiver, avec le peu de dégagement des routes, ce n’était pas recommandé d’aller se promener bien loin avec les autos. C’était beaucoup des carrioles et des sleighs [traîneaux] et des chevaux. Aux messes de minuit, même si il y en avait qui étaient en auto, la plupart arrivait avec des chevaux.

Wilfrid avec les chevaux
Votre ferme était une ferme laitière?

Oh, il y avait des moutons et des chevaux aussi. Il y avait une vingtaine de vaches laitières. Ça se faisait tout à la main, sauf la dernière année, où mon père avait acheté une trayeuse. C’était tout un événement d’avoir acheté une trayeuse. Avant de descendre le lait en ville, il y avait un puits, où ils mettaient de l’eau froide et les bidons pour y garder le lait frais. À tous les jours, ou aux deux jours, il allait livrer le lait en ville. Il allait livrer avec son cheval. On avait des très beaux chevaux.
Il y en avait une qui s’appelait la blonde. Elle était fine, et douce, mais si tu t’adonnais à être avec elle le long du chemin de fer au moment où il y avait des trains qui passaient, là elle prenait l’épouvante.
Jean-Eudes avec les chevaux.
Au loin à droite, la maison familiale.
C’était la jument préférée de ma mère, mais ma mère en avait peur, parce qu’à chaque coup, elle prenait l’épouvante et ça prenait quelqu’un qui avait du poignet pour finir par l’arrêter. On avait aussi Bebé, qui était un gros cheval tout commode. Il y avait aussi Fine, une jument noire, très belle, grosse, et quand j’avais à peu près 4 ans, je l’emmenais avec moi et elle était très docile, mais il fallait que je fasse attention pour ne pas qu’elle me pile sur les pieds. Et on avait aussi un cheval plus petit, mais qui avait du cœur. J’essaie de me rappeler son nom... Il s’appelait Prince. Il essayait, et réussissait toujours, à suivre les autres. Il était plus petit que les autres. Quand on attelait deux chevaux, pour faire ce qu’ils appelaient un « tim » de chevaux [clairement dérivé de l’anglais team], il travaillait plus que l’autre, je me souviens qu’il y mettait du cœur, que c’était un beau petit cheval.

Dans ma tête de citadin, je dois comprendre que la "petite ferme" n’était pas si petite que ça.

Jean-Eudes nourrissant les moutons
Il y avait des moutons, des chevaux, des bêtes à cornes, des vaches laitières, des poules, des porcs. Je devais avoir à peu près trois ans, trois ans et demi et c’est moi qui avait comme travail de donner la bouteille à un petit cochon et deux moutons. Ils étaient un peu abandonnés, alors je partais avec trois bouteilles de lait, j’en mettais une par terre et je donnais le biberon aux deux autres, puis quand ils avaient fini, je donnais la bouteille à l’autre. C’est assez particulier de se rappeler ces choses-là. Et j’ai des photos de ça. Je me rappelle aussi d’avoir aidé aux grains, quand ils travaillaient avec les batteuses à grain, et les avertissant quand il y en avait assez. C’est pas moi qui m’occupais de vider ça, c’était bien trop gros, même pour un adulte, ça prenait quelqu’un d’habitué, mais je les prévenais.
Parmi mes autres souvenirs sur la ferme, il y a l’eau de pâques. Mon père allait à l’eau de pâques. En hiver, il allait chercher de l’eau à la rivière, pas loin, avec un gros tonneau, et il revenait et en donnait aux animaux, car l’hiver, le système à pompe, ça ne marchait pas. Quand c’était la nuit de pâques, il partait donc, avec sa tonne, et il allait chercher de l’eau pour ses animaux. Pour ramasser de l’eau de pâques, c’était après minuit. Il en donnait à ses animaux en pleine nuit.

On parle de quelle année?

Avant que j’aille à l’école. Donc 1943-44.
Pendant ces années-là, il y avait beaucoup d'autres choses. Il y avait de la boucherie, abattre des porcs et les saigner. Je me rappelle que quand ils les saignaient, ils ramassaient le sang et faisaient attention pour ne pas qu’il caille. Ils faisaient du boudin. Je vois encore ma tante Aline. Pour faire le boudin, d’abord, ils ramassaient le sang, et ils ramassaient aussi les tripes. Ils les faisaient bouillir, les viraient à l’envers, et les grattaient comme il faut pour garder juste la pellicule propre. Puis ils mettaient du sang, un petit peu de gras, dans le tube nettoyé, puis ils le tordaient en petits bouts, ficelés, puis ils le faisaient cuire. Je me rappelle de l’avoir vu faire. Quand l’automne arrivait, ils abattaient ordinairement quelques bêtes, en vendaient, et ils gardaient un demi bœuf, une demie taure. Ils attendaient qu’il fasse assez froid, et ils le suspendaient dans le hangar qui était dehors. Pour que ça reste gelé longtemps. Ça leur permettait d’avoir de la viande pendant l’hiver.

Ils n’avaient pas de réfrigérateur, à ce moment-là.

Jean-Eudes nourrissant un petit cochon
Non. Au printemps, une autre activité de la ferme, c’était de tondre les moutons. Au printemps, la laine ne sert à rien pour le mouton, alors ils les tondaient. À la main, c’était pas électrique. Dans le temps, les barbiers avaient quasiment le même outil. C’était comme une tondeuse moderne, mais manuelle. Quand ils étaient tondus, ils faisaient désinfecter la laine des moutons en la faisant bouillir dans une grosse cuve. Ils l’apportaient en ville pour la faire traiter, puis ils obtenaient pas encore une laine qui pouvait servir, mais avec le rouet, tu pouvais la tordre pour en faire une laine un peu filée. Comme ils avaient des portées de moutons de temps en temps, ça leur arrivait aussi de vendre des moutons.

Autrement dit, ils s’auto-suffisaient sur la ferme?

Oui, ils s’auto-suffisaient. Quand mon père allait mener le lait à la laiterie, ils s’en revenaient avec ce qu’il appelait le «petit lait». C’était ce qui restait du lait du fromage. Il se servait de ça au lieu de mettre de l’eau dans la moulée des porcs. Les porcs, ils les nourrissaient aussi avec des patates. D’ailleurs, quand ils ramassaient les patates, ils passaient d’abord avec la charrue, pour les déterrer. Je me rappelle – je devais avoir à peu près 4 ans, j’imagine - ma job c’était de ramasser les plus petites patates. Les grosses patates étaient ramassées dans des chaudières, puis placées dans des poches, puis plus tard, ils les mettaient dans ce qu’ils appelaient la cave de dehors. C’était un trou, comme une cave, à l’extérieur de la maison. Ils les mettaient là pour que ça reste frais, pour que ça se préserve. Les petites patates, on les faisait cuire, dehors, dans l’eau bouillante, puis on les donnait aux porcs. Ça aidait à engraisser les porcs et ça coûtait moins cher que de la moulée. Tu récupérais en même temps les trop petites patates.
Wilfrid sur la ferme, avec cochons et poules
Ils utilisaient tout ce qu’ils produisaient. Les chevaux, par exemple, c’était le foin. Ils l’engrangeaient. Le foin était cultivé, l’avoine était cultivée, ils n’avaient pas besoin d’en acheter. D’ailleurs, quand c’était le temps d’engranger le foin, ils reculaient la charrette de foin, et là, il y avait une sorte de fourche mécanique à deux brins. Celui qui était sur le voyage de foin recevait la fourche, et la piquait dans la balle de foin. Pour monter le foin en l’air, ils avaient une corde, tirée par un cheval, la balle de foin tombait alors sur une track, et plus loin, il y avait une autre corde, qui faisait tomber le foin au bon endroit dans le fani [fenil] si on la tirait en donnant un coup sec. Ça m’est arrivé, avec mes chevaux les plus fins, de m’occuper de faire avancer le cheval. Il fallait que je fasse attention de ne pas me faire piler sur les pieds. Le cheval était grand et moi, j’étais pas grand.

Il y avait combien d’édifices sur la ferme, à part la maison? L’étable, la grange…

Dans le même édifice, l’étable était fermée et isolée jusqu’à un certain point. La grange en était la continuité, mais beaucoup plus aérée, beaucoup moins isolée. Il y avait aussi le jardin. Chez nous, le jardin, c’était toujours labouré, et hersé avec l’aide des animaux. Une fois fait, c’était clos, fermé, et il fallait prendre un escalier de chaque côté de la clôture. On traversait, et il y avait un petit palier sur la clôture, pour atteindre le jardin. Et juste à côté, ils faisaient des "couches chaudes". Au lieu d’avoir une serre pour commencer les semis, ils commençaient leurs semis dans le côté du jardin. Ils enlevaient de la terre, ils mettaient du fumier en dessous, c’était plus chaud. Et ils semaient là-dessus, et c’était recouvert de portes vitrées. On pouvait y accéder en ouvrant les portes vitrées, qui étaient directement sur le sol. Ça faisait un effet de serre, et c’était grand comme une table à dîner. Ils plantaient quelques fleurs, mais surtout des légumes. Les plants de tomates, des salades… Ils cultivaient peu de fleurs, quelques de pensées, mais sinon, ils avaient déjà trop d’ouvrage avec le reste de la ferme.
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[19 août 2011 / 25 août 2011]

Un mot sur la guerre

Comme tu es né en 1940, tu es né dans les débuts de la seconde guerre mondiale. Est-ce qu’à cette époque-là, même pour un enfant de 3-4 ans, on se rendait compte de ce qui se passait?

Premièrement, mon père, pour une raison quelconque, a voulu aller s’enrôler. Quand? Est-ce que j’étais né ou non, je ne pourrais le dire. Mais Luc est allé le déclarer indispensable comme soutien de famille. À ce moment-là, ils ne les prenaient pas dans l’armée. Ça lui aurait permis d’avoir plus de facilités et de posséder des avoirs. Du côté de ma mère, Léonce, qui était son frère aîné, a été demandé pour faire partie de l’armée, il a été conscrit. Mais il s’est sauvé, il s’est caché. Il avait une femme (ou sa blonde si elle n’était pas encore sa femme à ce moment-là). Il a fini par s’en sortir, mais avec des difficultés. Des bouts, il se cachait dans le bois, il dormait et se sauvait en entendant des bruits. Une fois, il était couché sous des pins, et il a été réveillé par des lumières dans le visage et il pensait s’être fait découvrir. Il n’y en a pas eu vraiment d’autres dont j’ai eu connaissance.

Est-ce que les gens parlaient de la guerre?

Non, je n’ai pas entendu parler vraiment de guerre, à part pour ce que je viens de raconter.
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[19 août 2011]

Le 9 août 1940

JE, tu es né le 9 août 1940.

Absolument. Je suis né à une heure et j’ai été baptisé le même soir, ça s’est tout réglé dans un cas!

Ton prénom est Jean-Eudes, parce que grand-maman a cherché un prénom et sur son calendrier et le plus proche du 9 août était la St-Jean-Eudes.

Non. Le plus proche, c’était la St-Jean-Marie-Vianney, mais elle ne voulait pas m’appeler comme ça. Elle est donc allé plus loin, et elle a choisi le 19 août, qui était la St-Jean-Eudes. Moi, je fais des farces avec ça, en disant que s’il a réussi à devenir saint en étant 19 fois fou [Dix-neu-f-aout], alors j’ai pas à me forcer pour devenir saint, je suis juste neuf fois fou [neu-f-aout].

Tout ça est une parfaite introduction à nos entretiens, puisque cette première conversation a justement lieu le 19 août 2011, à la St-Jean-Eudes.

Ah? Je n’avais pas remarqué la date.

Savais-tu qui était St-Jean-Eudes?

Si je me rappelle bien, c’était un évêque français.

Tu es donc né le 9 août 1940, à Roberval. Où habitaient tes parents?

Le voisin du cimetière.

La grosse maison que j’ai vue dans ma jeunesse?

Luc, Aline, Wilfrid, Cécile et Jean-Eudes
Je ne sais pas si tu l’as vu, cette maison-là. C’était une maison… elle était pas si grosse. C’était en brique rouge.

Lors de ta naissance, la famille qui y vivait, c’était juste ton père et ta mère?

Non. C’était Luc, Aline, puis mon père et ma mère. C’était sur une petite ferme.

Quand tu es né, ton père, Wilfrid, avait 25 ans… 

Il est né en 1915. Moi en 1940.

Et grand-maman, Cécile, avait 18 ans.

Oui, elle avait eu 18 ans, elle est née en 1922.

Tu étais le premier enfant?

Mariage de Wilfrid Morin et Cécile Girard
Oui, le premier enfant de Cécile et Wilfrid.

Pourtant, je me souviens que dans ma jeunesse, tu nous avais parlé de Marie-Jeanne.

Non, elle est venue après. Mais l’histoire de son nom remonte à avant moi. La mère de maman s’appelait Marie-Jeanne. Ma mère était la fille de Adgérie Girard et Marie-Jeanne Martel. Marie-Jeanne avait eu deux garçons, puis des jumelles dont une est décédée, puis elle a eu une autre fille, et elle est morte en même temps que sa fille. Maman, qui était une des jumelles, avait environ 2 ans quand sa mère est décédée. À ce moment-là, mon grand-père Adgérie, qui était maçon, avait trois enfants dont une de deux ans, et il était maintenant veuf. Il a décidé d’aller voir Aline, qui était sa belle-sœur, la sœur aînée de Marie-Jeanne, qui n’avait pas d’enfant, et de lui demander de garder la plus petite, et peut-être même de l’adopter si ça marche bien. Ce qui fait que ma mère a été élevée par Aline Martel. Elle l’appelait tout le temps maman, c’était devenu sa mère.

A cette époque-là, ils vivaient dans la maison où tu es né plus tard?

Non, pas tout de suite. Aline était mariée à Luc Morin, qui était un garçon de Joseph Morin, qui était déjà mort quand Aline et Luc ont pris ma mère. Luc, c’était lui qui gérait la ferme, au premier rang. Il y avait «Petit» [Joseph Morin fils], un de ses frères, qui était marié, et lui, des enfants, il en avait! Aline et Luc n’en avaient pas, eux-autres. Pour se faire aider sur la ferme, Luc avait donc demandé à son neveu, le fils de son frère Stanislas.
Famille de Stanislas Morin (second à gauche).
De gauche à droite: Léonce (fils), Philippe-Auguste (fils),
Jean (beau-père) et Wilfrid (fils).
Stanislas, c’était mon grand-père. Sa femme Laura et lui étaient d’ailleurs des Morin tous les deux, mais Laura, si on remonte un peu plus loin dans le temps, c’était une Morand. Le troisième des fils de Stanislas aidait donc Luc avec la ferme. C’était Wilfrid, mon père. Il connaissait donc ma mère, adoptée par Aline. À un moment donné, ils ont vieillis, et sont devenus plus adultes tous les deux. Et à un moment donné, Wilfrid a trouvé que sa lui ferait une belle femme, qu’il l’aimerait, et Cécile, elle ne connaissait pas beaucoup de monde non plus. Wilfrid, il ne savait pas lire ni écrire. Il savait compter et écrire son nom. Cécile écrivait et lisait un peu, au son ou à peu près. Ça a fini par faire un couple, et ils ont décidé de se marier. Quand c’est arrivé – je ne pourrais pas donner les dates exactes – mais quand c’est arrivé, la terre où je suis né, et qui était un demi-lot, elle appartenait à un Girard. Et au départ, à un Laroche, qui était le grand-père de la mère de ma femme.

[Par un amusant hasard, c’est donc dans cette maison, qui a vu naitre JE, qu’était également née, 25 ans auparavant, la mère de celle qui allait devenir la femme de JE.]

C’était donc Méridée Girard [Le beau-frère du grand-père de la future épouse de JE] qui s’occupait de cette ferme-là, mais il demeurait plus près de Roberval, en ville. À partir de ce moment-là, Luc a acheté la terre de Méridée et ils sont partis rester à cet endroit-là. Il a laissé la grande ferme à Petit et toute sa gang. Lui, il a eu six garçons et sept filles, je pense. Je pourrais presque tous les nommer, il y en avait tout un lot! Ils sont donc allés s’installer avec Wilfrid et Cécile et c’était Wilfrid qui s’occupait de la ferme. Luc était rendu, probablement pas à 60 ans, mais très proche. Il est décédé un peu plus tard, à 66 ans. Mon père s’occupait donc de tout, mais Luc s’en occupait un peu aussi, et il varnoussait partout. Et Aline s’occupait de la maison avec Cécile. Puis, Cécile a eu un premier enfant. C’était moi, en 1940, le 9 août.
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[19 août 2011]